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Jamais un homme ne se proposa, volontairement ou involontairement, un
but plus sublime, puisque ce but était surhumain : Saper les
superstitions interposées entre la créature et le Créateur, rendre Dieu à
l'homme et l'homme à Dieu, restaurer l'idée rationnelle et sainte de la divinité dans ce chaos de dieux matériels et défigurés de l'idolâtrie...
Jamais homme n'entreprit, avec si faibles moyens, une œuvre si
démesurée aux forces humaines, puisqu'il n'a eu, dans la conception et
dans l'exécution d'un si grand dessein, d'autre instrument que lui-même,
et d'autres auxiliaires qu'une poignée de barbares dans un coin du
désert.
Enfin jamais homme n'accomplit en moins de temps une si
immense et si durable révolution dans le monde, puisque, moins de deux
siècles, après sa prédication, l'islamisme prêché et armé régnait sur
les trois Arabies, conquérait à l'unité de Dieu la Perse, le Khorasan,
la Transoxiane, l'Inde occidentale, la Syrie, l'Egypte, l'Ethiopie, tout
le continent connu de l'Afrique septentrionale, plusieurs des îles de
la Méditerranée, l'Espagne et une partie de la Gaule.
Si la
grandeur du dessein, la petitesse des moyens, et l'immensité du résultat
sont les trois mesures du génie de l'homme, qui osera comparer
humainement un grand homme de l'histoire moderne à Mahomet ? Les plus
fameux n'ont remué que des armes, des lois, des empires; ils n'ont fondé
(quand ils ont fondé quelque chose) que des puissances matérielles
écroulées souvent avant eux. Celui-là a remué des armées, des
législations, des empires, des peuples, des dynasties, des millions
d'hommes sur un tiers du globe habité; mais il a remué de plus des
autels, des dieux, des religions, des idées, des croyances, des âmes; il
a fondé sur un Livre dont chaque lettre est devenue loi une nationalité
spirituelle qui englobe des peuples de toute langue et de toute race,
et il a imprimé, pour caractère indélébile de cette nationalité
musulmane, la haine des faux dieux, et la passion du Dieu Un et
immatériel. Ce patriotisme, vengeur des profanations du ciel, fut la
vertu des enfants de Mahomet; la conquête du tiers de la terre à son
dogme fut son miracle, ou plutôt ce ne fut pas le miracle d'un homme, ce
fut celui de la raison... L'idée de l'unité de Dieu, proclamée dans la
lassitude des théogonies fabuleuses, avait en elle-même une telle vertu,
qu'en faisant explosion sur ses lèvres elle incendia tous les vieux
temples des idoles et alluma de ses lueurs un tiers du monde.»
Source: Alphonse de LAMARTINE, 1854, Histoire de la Turquie
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