lundi 14 avril 2014

Analyse des régimes des quatre premiers Présidents du Sénégal ou anti-Mouridisme primaire ? [par S. Cheikh Fatma Mbacké]


« 1960 – 2014 : 54 ans de marche erratique de l’Etat sénégalais… », par Mamadou Oumar Ndiaye du journal « Le Témoin ». Analyse des régimes des quatre premiers Présidents du Sénégal ou anti-Mouridisme primaire ?

A l’occasion de la célébration de l’indépendance de notre pays, dans un article paru dans l’hebdomadaire « Le Témoin » N° 1159 et intitulé « 1960 – 2014 : 54 ans de marche erratique de l’Etat sénégalais Du « toubab » Senghor à l’hybride Macky Sall en passant par l’administrateur colonial Diouf et le libéralo-mouride Wade, les péripéties d’un Etat africain !»,  le directeur de publication de ce même journal a fait une analyse sur les 4 Présidents du Sénégal depuis 1960.

Si le journaliste qualifie les présidents  Senghor de « Toubab », Diouf  « d’administrateur colonial » et Macky  Sall d’hybride, même s’il  critique  très sévèrement et parfois bien justement leur régime, il trouve dans le règne de ces  3 Présidents des points tout à fait positifs. Quant au régime du Président Abdoulaye Wade qu’il taxe de « libéralo-mouride », il ne lui trouve pratiquement rien de positif. Libéral, oui le Président Wade a toujours dit qu’il appliquait une politique libérale, mais  n’a jamais dit qu’il menait une politique mouride. Alors pourquoi qualifier ce régime Wade de mouride ? Bien entendu, Abdoulaye Wade s’est  toujours proclamé  mouride et pourtant,  contrairement aux Présidents Senghor et Diouf, il  n’a jamais bénéficié de soutien public et sans équivoque de la part d’un Khalife  général des mourides.

L’objectif du journaliste semble très clair. Après avoir assimilé  les « Baol-Baol », pour ne pas dire les  « Mourides » comme étant « des opérateurs sans scrupule, méconnaissant les lois et règlements existants  (ou faisant semblant)… » et « ne voyaient pas de raison de payer des impôts à un Etat « illégitime » à leurs yeux, se réfugiant derrière un Serigne Abdou Lahad Mbacké… », Mamadou Oumar Ndiaye, par un glissement subtil a parlé de Wade comme étant un « Baol-Baol » dans l’âme ayant même écrit « un bouquin intitulé « La doctrine économique des Mourides » qui avait été son sujet de thèse à l’Université. ». Soit dit en passant, le livre en question s’appelle « La doctrine économique du Mouridisme. » Et la plus simple rigueur scientifique aurait dicté au journaliste de faire une recherche, ne serait ce  que sur Google, ce qui lui aurait évité de se tromper sur le nom exact du livre. Il aurait trouvé dans Wikipedia ceci : « La doctrine économique du Mouridisme, L'Interafricaine d'éditions, Dakar, 1970, 35 p. (d’abord publié dans les Annales de la Faculté de Droit et de Sciences Économiques de l'Université de Dakar en 1968) ». C’est un article universitaire de 35 pages et non une thèse comme l’affirme l’auteur MON. Comme je l’ai dit en haut, le but  semble clair : démontrer que Wade a appliqué le Mouridisme comme politique et qu’il a été pour cela  le plus mauvais   Président du Sénégal et  insinuer que  la philosophie mouride est disqualifiée. Il poursuit d’ailleurs son analyse de la période Wade en disant : « c’est sous le libéralo-mouride Abdoulaye Wade que le coup de grâce a été asséné à l’État senghorien. ».

Accuser les  « baol baol », pour ne pas dire les mourides de ne pas payer des impôts et donc d’être de mauvais citoyens, c’est méconnaître leur rôle et la place qu’ils occupent dans  l’économie sénégalaise , ou être d’une totale mauvaise foi.  Il faut savoir qu’aujourd’hui une très grande part du budget du Sénégal est payée par les « baol baol » à travers les taxes douanières sur les importations des grands commerçants et industriels mourides. En plus, l’un des rares produits où notre pays est parmi les premiers producteurs, c'est-à-dire l’arachide, ce résultat est en grande partie réalisé par les citoyens mourides dans la région naturelle du Centre-ouest du pays, appelé « bassin arachidier ». En outre, tous les spécialistes savent que tous les  consommateurs du pays payent l’impôt indirect qu’est la TVA. Ces accusations constituent donc une résurgence du vieux cliché du mouride inadapté à la citoyenneté et au civisme que véhicule depuis longtemps des milieux intellectuels anti-mourides.  

On peut reprocher à l’ancien Président Wade beaucoup de choses, notamment  la gabegie sur le maigres deniers du pays, ses projets inutiles et parfois anti-islamiques (monuments de la renaissance), le népotisme avec les pouvoirs exorbitants donnés à ses enfants,  « la dévolution monarchique », l’enrichissement rapide de personnalités de son régime, le « ma waxon waxeet », le 3e mandat de trop…Mais il faudra toujours lui rendre justice et porter à son crédit sa grande vision sur les infrastructures (routes, écoles, lycées, universités…) pour rattraper le retard accumulé durant les régimes de ses prédécesseurs par le pays dans ce domaine, son pragmatisme et sa politique décomplexée vis-à-vis de l’ancien colonisateur, la France et l’occident en général contrairement aux anciens Présidents Senghor et Diouf et  le fait de privilégier la coopération avec les pays émergents (Chine, Inde, Malaisie, Turquie…). 

Mais la question qu’il faut se poser par rapport au postulat de Mamadou Oumar Ndiaye dans son article est la suivante. Wade a-t-il appliqué la doctrine mouride ? 

Pour le journaliste il semblerait que oui car le livre de Wade en est une illustration. Pour répondre à MON, je vais me contenter de citer le livre KHIDMA de Abdou Aziz Mbacke Majalis publié en 2010 : « …Ainsi en est il de l’économiste Abdoulaye Wade qui, en comparant, dans une publication intitulé « La Doctrine Economique du Mouridisme », la doctrine du travail des mourides à celle du Protestantisme, tombe, malgré toutes ses bonnes dispositions, dans certains clichés prédominants et restrictifs nourris par l’insuffisance de la recherche sur la pensée du Cheikh…tout en cédant au réflexe d’un économiste trop étroit car incapable de rendre dans toute sa plénitude la dimension doctrinale à la base de la thématique étudiée. ». L’avis de l’auteur mouride sur le seul élément de preuve fourni par le journaliste est donc sans appel. 

Quelle est la doctrine mouride ? 

Selon toujours Abdou Aziz Mbacke Majalis, dans son livre KHIDMA : « Quelle était cette  vision politique de Serigne Touba ? Elle a pour nom KHIDMA…. Ce que le civisme, le patriotisme ou même l’humanisme moderne sont au système républicain athée hérité de la Révolution française ou du système polythéiste romain, le sens de la Khidma l’est à la res publica (chose publique) des croyants, hérité de la civilisation islamique originelle. Là où certains penseurs ont théorisé le libéralisme ou la démocratie chrétienne, d’autres prôné le socialisme, le marxisme, le maoïsme et d’autres systèmes politiques et économiques pour gérer et assurer le progrès de leur Cité, Serigne Touba préconise la KHIDMA, qui n’est nullement le travaillisme anglo-saxon ou même une version prétendument africanisée du protestantisme calviniste, comme d’aucuns l’ont un peu trop vite suggéré, mais un modèle de développement basé sur la recherche de l’Agrément de Dieu à travers le profit généré pour ses concitoyens. Mais, il faut le préciser, le type de développement suggéré ici n’est nullement celui du PIB ou celui qui se décline uniquement en termes d’infrastructures matérielles et de performances économiques, mais c’est plutôt, sans nullement nier ces facteurs importants, le type de progrès intégral qui élève moralement, spirituellement et intellectuellement l’homme, le met dans les conditions matérielles et sociales idéales (où le PIB devient « Piété Intérieure Bienfaisante ») pour vivre pleinement sa foi avec dignité et garantir la qualité de ses relations avec son Seigneur et ses semblables, ici-bas et surtout en vue la Vie éternelle… ».   

Cette définition d’Abdou Aziz de la doctrine politique et économique de Cheikh Ahmadou Bamba est généralement acceptée par tous ceux qui ont bien compris la vie et l’œuvre du Cheikh. Alors au vu de cela peut on affirmer que l’ex-Président Wade a été un « libéralo-mouride » comme l’affirme MON ? Sans aller dans les détails sur le régime de Wade, ce n’est pas le but de cet article, on peut dire que le simple fait que Wade ait appliqué des politiques  clairement à l’encore des principes de l’Islam, comme l’abolition de la peine de mort, la construction du « monument de la renaissance », le fait de se dédire (« ma waxon waxeet »), montre que son régime était loin d’être une régime mouride. Sur le plan économique, et pour en revenir à l’agriculture et à l’arachide, sa politique qui a créé les bons impayés a été très préjudiciable aux paysans et plus particulièrement aux mourides. D’ailleurs, les projets annoncés pour Touba n’ont pas été pour l’essentiel réalisés. D’où d’ailleurs les promesses maintes fois réaffirmés par l’actuel Président de rendre concrets ses projets retardés depuis si longtemps.  

Mamadou Oumar Ndiaye peut reprocher à Wade le « délit » d’avoir été un Président qui se réclame du Mouridisme, mais il ne doit pas dire qu’il a été un « libéralo-mouride ». La doctrine Mouride n’a rien à voir avec le libéralisme de l’ex-Président. On peut bien être mouride et ne pas vivre ni appliquer la pensée réelle de Cheikhul Khadim sur tous les plans.

La dernière partie de l’article confirme le vrai dessein de l’auteur :  

 « Sans compter que, après avoir feint de tenir tête aux marabouts et aux hommes d’affaires qu’ils parrainent, il a fini par leur faire allégeance insensiblement. A preuve, c’est lui qui a fait du « magal » un jour férié et qui a mis en place un programme de modernisation des cités dites religieuses. Et tant pis si des villes plus méritantes démographiquement et économiquement vont être laissées en rade. »  

Il est vrai que le Président Macky Sall avait été encouragé, par des « intellectuels », des « ex-communistes repentis », forces occultes (maçonniques, autres),  dès son accession à la magistrature suprême à essayer de fragiliser les familles religieuses ou du moins à les ignorer afin de se débarrasser d’elles une bonne  fois pour toute car d’après leur analyse le Président avait été élu sans leur soutien. Comme si parmi les 65% de sénégalais il n y avait pas de tidianes,  de mourides, de  khadr etc…  

Nous osons espérer que le Président ne suivra pas ces groupuscules qui ne représentaient souvent pas grand monde. Car comment développer ce pays en ignorant les forces les plus vives et les plus dynamiques de la Nation, aussi bien sur le plan  économique, culturel que social ? On l’oublie  souvent, les chefs religieux ne seraient aucunement considérés si ce n’étaient les populations qui sont derrières eux et qui leur sont très attachés à cause du rôle religieux, social et de la défense de leurs intérêts qu’ils  jouent en général pour elles. Je ne veux pas faire ici l’apologie de la  consigne de vote politique, qui pouvait parfaitement se comprendre  dans l’évolution politique du Sénégal, mais aujourd’hui je suis personnellement d’avis que les grands chefs religieux qui comptent des fidèles dans tous les partis doivent restés neutre afin de mieux jouer leur rôle de régulateurs sociaux dans le pays. Sauf dans certains cas comme  contre des candidats qui prônent des valeurs anti-islamiques ou des politiques économiques clairement allant à l’encontre des intérêts du pays. Ou si certains d’entre ces chefs religieux sont porteurs d’une offre politique alternative et crédible qu’ils « vendraient » aux électeurs comme tout autre candidat. D’ailleurs en ce qui concerne la haute hiérarchie mouride aucun Ndiguel en matière de vote n’a été donné lors d’élection depuis maintenant 26 ans. Tous les « Ndiguel » depuis sont tout à fait périphériques et n’engageant nullement la communauté mouride.  

Heureusement,  dans la station où il se trouve, le Président  de la République  dispose toujours  d’informations, de renseignements qui lui ont permis  de se rendre compte  que l’option d’ignorer ou d’affaiblir les religieux n’était pas viable pour le Sénégal.  

Il est évident que les forces antireligieuses et surtout anti-mourides ne baisseront jamais les armes. Cet article participe peut être d’une tentative de raviver la lutte ou le dénigrement contre les communautés religieuses, notamment le Mouridisme.  

 Quant à la pique contre le Président Sall pour avoir fait du Magal un jour férié, n’est on pas en démocratie ? Si l’Exécutif propose une loi et que l’Assemblée, représentation Nationale la vote, où est le problème ? Ou bien cette démocratie que le journaliste a pourtant  magnifiée dans son texte ne doit jamais bénéficier aux communautés religieuses, même si elles sont des citoyens à part entière ? Ou bien veut- il faire d’elles des citoyens entièrement à part au nom d’un « laïcisme » devenu la « secte » d’une certaine élite intellectuelle ?  

Pour ce qui est des « cités dites religieuses », MON s’offusque du programme de modernisation de ces villes en affirmant que des villes plus méritantes démographiquement et économiquement seront laissées en rade. Touba, deuxième ville du Sénégal sur le plan démographique, disposant d’infrastructures d’accueil construites par les talibés  mourides, occupant une très grande place dans l’économie du pays, accueillant chaque année plus de trois millions de talibés et de visiteurs à l’occasion du Grand Magal, mériterait-t-elle moins que Thiès ou Fatck d’être modernisée ? 

Touba qui, lors du conseil des Ministres décentralisé a hébergé la délégation gouvernementale à la place de la capital régionale Diourbel car disposant, contrairement à celle ci de sites construits par les fidèles mourides eux même. Faisant ainsi des économies sur les ressources des contribuables sénégalais. Il est clair qu’un investissement à Tivaouane  a plus de chance de bénéficier au plus grand nombre de sénégalais de tous bord que celui fait à Thies, ne serait qu’à cause du Gamou et autres évènements religieux dans cette ville. C’est le cas de presque toutes les cités religieuses. De ce point de vu et sur un plan purement citoyen, ces investissements ne sont nullement une faveur à ces cités au détriment d’autres villes du pays. Et puis dans ce pays qui nous appartient à tous ne devrions nous pas nous réjouir de tout ce que l’Etat fait dans n’importe quelle contrée du Sénégal comme d’un bien qui appartient à tous les citoyens du pays ?  

Sans nier que l’analyse du journaliste dans cet article est parfois très pertinente, malheureusement il est tombé dans des clichés et amalgames contre les mourides-baol-baol, par ses attaques injustifiées qui ont rendu son texte non équilibré et franchement anti-mouride, alors qu’il semblait vouloir parler de l’indépendance du Sénégal. A moins que, comme il transparaît dans l’article, son but principal était de profiter de l’évènement du 4 avril pour régler ses comptes avec la communauté mouride. Ou bien voulait- il également régler ses autres comptes avec l’ex-Président Wade, pour qui comme on le sait Mamadou Oumar Ndiaye a eu à travailler dans le journal du PDS « SOPI » comme rédacteur en chef, avant de « transhumer », comme l’affirme Satelit Magazine « Mamadou Oumar Ndiaye lui a été un proche de l’opposant Wade, pour avoir dirigé le journal « Sopi », que celui-ci publiait. Mais ils rompront bien avant l’alternance. Mamadou OmarNdiaye, que l’on surnomme Mon, se rapprochera alors d’Ousmane Tanor Dieng, à l’époque homme puissant auprès du président Diouf ». En tout cas sous prétexte d’une analyse des quatre régimes qui ont gouverné le Sénégal depuis notre indépendance, le texte de MON frise l’anti-Mouridisme primaire.  

 Cheikh Fatma Mbacké,

Ingénieur informaticien et chercheur mouride  

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