« 1960 – 2014 : 54 ans de marche erratique de l’Etat sénégalais… », par Mamadou Oumar Ndiaye du journal « Le Témoin ». Analyse des régimes des quatre premiers Présidents du Sénégal ou anti-Mouridisme primaire ?
A l’occasion de la célébration de
l’indépendance de notre pays, dans un article paru dans l’hebdomadaire
« Le Témoin » N° 1159 et intitulé « 1960 – 2014 : 54 ans de marche
erratique de l’Etat sénégalais Du « toubab » Senghor à l’hybride Macky
Sall en passant par l’administrateur colonial Diouf et le
libéralo-mouride Wade, les péripéties d’un Etat africain !», le directeur de publication de ce même journal a fait une analyse sur les 4 Présidents du Sénégal depuis 1960.
Si
le journaliste qualifie les présidents Senghor de « Toubab », Diouf
« d’administrateur colonial » et Macky Sall d’hybride, même s’il
critique très sévèrement et parfois bien justement leur régime, il
trouve dans le règne de ces 3 Présidents des points tout à fait
positifs. Quant au régime du Président Abdoulaye Wade qu’il taxe de «
libéralo-mouride », il ne lui trouve pratiquement rien de positif.
Libéral, oui le Président Wade a toujours dit qu’il appliquait une
politique libérale, mais n’a jamais dit qu’il menait une politique
mouride. Alors pourquoi qualifier ce régime Wade de mouride ? Bien
entendu, Abdoulaye Wade s’est toujours proclamé mouride et pourtant,
contrairement aux Présidents Senghor et Diouf, il n’a jamais bénéficié
de soutien public et sans équivoque de la part d’un Khalife général des
mourides.
L’objectif
du journaliste semble très clair. Après avoir assimilé les
« Baol-Baol », pour ne pas dire les « Mourides » comme étant « des
opérateurs sans scrupule, méconnaissant les lois et règlements
existants (ou faisant semblant)… » et « ne voyaient pas de raison
de payer des impôts à un Etat « illégitime » à leurs yeux, se réfugiant
derrière un Serigne Abdou Lahad Mbacké… », Mamadou Oumar Ndiaye, par un glissement subtil a parlé de Wade comme étant
un « Baol-Baol » dans l’âme ayant même écrit « un bouquin intitulé « La
doctrine économique des Mourides » qui avait été son sujet de thèse à
l’Université. ». Soit dit en passant, le livre en question s’appelle « La doctrine économique du Mouridisme. »
Et la plus simple rigueur scientifique aurait dicté au journaliste de
faire une recherche, ne serait ce que sur Google, ce qui lui aurait
évité de se tromper sur le nom exact du livre. Il aurait trouvé dans
Wikipedia ceci : « La doctrine économique du Mouridisme,
L'Interafricaine d'éditions, Dakar, 1970, 35 p. (d’abord publié dans les
Annales de la Faculté de Droit et de Sciences Économiques de
l'Université de Dakar en 1968) ». C’est un article universitaire de
35 pages et non une thèse comme l’affirme l’auteur MON. Comme je l’ai
dit en haut, le but semble clair : démontrer que Wade a appliqué le
Mouridisme comme politique et qu’il a été pour cela le plus mauvais
Président du Sénégal et insinuer que la philosophie mouride est
disqualifiée. Il poursuit d’ailleurs son analyse de la période Wade en
disant : « c’est sous le libéralo-mouride Abdoulaye Wade que le coup de grâce a été asséné à l’État senghorien. ».
Accuser les « baol
baol », pour ne pas dire les mourides de ne pas payer des impôts et
donc d’être de mauvais citoyens, c’est méconnaître leur rôle et la place
qu’ils occupent dans l’économie sénégalaise , ou être d’une totale mauvaise foi. Il
faut savoir qu’aujourd’hui une très grande part du budget du Sénégal
est payée par les « baol baol » à travers les taxes douanières sur les
importations des grands commerçants et industriels mourides. En plus,
l’un des rares produits où notre pays est parmi les premiers
producteurs, c'est-à-dire l’arachide, ce résultat est en grande partie
réalisé par les citoyens mourides dans la région naturelle du
Centre-ouest du pays, appelé « bassin arachidier ». En outre, tous les
spécialistes savent que tous les consommateurs du pays
payent l’impôt indirect qu’est la TVA. Ces accusations constituent donc
une résurgence du vieux cliché du mouride inadapté à la citoyenneté et
au civisme que véhicule depuis longtemps des milieux intellectuels
anti-mourides.
On peut reprocher à l’ancien Président Wade beaucoup de choses, notamment la
gabegie sur le maigres deniers du pays, ses projets inutiles et parfois
anti-islamiques (monuments de la renaissance), le népotisme avec les
pouvoirs exorbitants donnés à ses enfants, « la dévolution
monarchique », l’enrichissement rapide de personnalités de son régime,
le « ma waxon waxeet », le 3e mandat de trop…Mais il faudra toujours lui
rendre justice et porter à son crédit sa grande vision sur les
infrastructures (routes, écoles, lycées, universités…) pour rattraper le
retard accumulé durant les régimes de ses prédécesseurs par le pays
dans ce domaine, son pragmatisme et sa politique décomplexée vis-à-vis
de l’ancien colonisateur, la France et l’occident en général
contrairement aux anciens Présidents Senghor et Diouf et le fait de privilégier la coopération avec les pays émergents (Chine, Inde, Malaisie, Turquie…).
Mais
la question qu’il faut se poser par rapport au postulat de Mamadou
Oumar Ndiaye dans son article est la suivante. Wade a-t-il appliqué la
doctrine mouride ?
Pour
le journaliste il semblerait que oui car le livre de Wade en est une
illustration. Pour répondre à MON, je vais me contenter de citer le
livre KHIDMA de Abdou Aziz Mbacke Majalis publié en 2010 : « …Ainsi
en est il de l’économiste Abdoulaye Wade qui, en comparant, dans une
publication intitulé « La Doctrine Economique du Mouridisme », la
doctrine du travail des mourides à celle du Protestantisme, tombe,
malgré toutes ses bonnes dispositions, dans certains clichés
prédominants et restrictifs nourris par l’insuffisance de la recherche
sur la pensée du Cheikh…tout en cédant au réflexe d’un économiste trop
étroit car incapable de rendre dans toute sa plénitude la dimension
doctrinale à la base de la thématique étudiée. ». L’avis de l’auteur mouride sur le seul élément de preuve fourni par le journaliste est donc sans appel.
Quelle est la doctrine mouride ?
Selon toujours Abdou Aziz Mbacke Majalis, dans son livre KHIDMA : « Quelle
était cette vision politique de Serigne Touba ? Elle a pour nom
KHIDMA…. Ce que le civisme, le patriotisme ou même l’humanisme moderne
sont au système républicain athée hérité de la Révolution française ou
du système polythéiste romain, le sens de la Khidma l’est à la res
publica (chose publique) des croyants, hérité de la civilisation
islamique originelle. Là où certains penseurs ont théorisé le
libéralisme ou la démocratie chrétienne, d’autres prôné le socialisme,
le marxisme, le maoïsme et d’autres systèmes politiques et économiques
pour gérer et assurer le progrès de leur Cité, Serigne Touba préconise
la KHIDMA, qui n’est nullement le travaillisme anglo-saxon ou même une
version prétendument africanisée du protestantisme calviniste, comme
d’aucuns l’ont un peu trop vite suggéré, mais un modèle de développement
basé sur la recherche de l’Agrément de Dieu à travers le profit généré
pour ses concitoyens. Mais, il faut le préciser, le type de
développement suggéré ici n’est nullement celui du PIB ou celui qui se
décline uniquement en termes d’infrastructures matérielles et de
performances économiques, mais c’est plutôt, sans nullement nier ces
facteurs importants, le type de progrès intégral qui élève moralement,
spirituellement et intellectuellement l’homme, le met dans les
conditions matérielles et sociales idéales (où le PIB devient « Piété
Intérieure Bienfaisante ») pour vivre pleinement sa foi avec dignité et
garantir la qualité de ses relations avec son Seigneur et ses
semblables, ici-bas et surtout en vue la Vie éternelle… ».
Cette
définition d’Abdou Aziz de la doctrine politique et économique de
Cheikh Ahmadou Bamba est généralement acceptée par tous ceux qui ont
bien compris la vie et l’œuvre du Cheikh. Alors au vu de cela peut on
affirmer que l’ex-Président Wade a été un « libéralo-mouride » comme
l’affirme MON ? Sans aller dans les détails sur le régime de Wade, ce
n’est pas le but de cet article, on peut dire que le simple fait que
Wade ait appliqué des politiques clairement à l’encore des
principes de l’Islam, comme l’abolition de la peine de mort, la
construction du « monument de la renaissance », le fait de se dédire
(« ma waxon waxeet »), montre que son régime était loin d’être une
régime mouride. Sur le plan économique, et pour en revenir à
l’agriculture et à l’arachide, sa politique qui a créé les bons impayés a
été très préjudiciable aux paysans et plus particulièrement aux
mourides. D’ailleurs, les projets annoncés pour Touba n’ont pas été pour
l’essentiel réalisés. D’où d’ailleurs les promesses maintes fois
réaffirmés par l’actuel Président de rendre concrets ses projets
retardés depuis si longtemps.
Mamadou
Oumar Ndiaye peut reprocher à Wade le « délit » d’avoir été un
Président qui se réclame du Mouridisme, mais il ne doit pas dire qu’il a
été un « libéralo-mouride ». La doctrine Mouride n’a rien à voir avec
le libéralisme de l’ex-Président. On peut bien être mouride et ne pas
vivre ni appliquer la pensée réelle de Cheikhul Khadim sur tous les
plans.
La dernière partie de l’article confirme le vrai dessein de l’auteur :
« Sans
compter que, après avoir feint de tenir tête aux marabouts et aux
hommes d’affaires qu’ils parrainent, il a fini par leur faire allégeance
insensiblement. A preuve, c’est lui qui a fait du « magal » un jour
férié et qui a mis en place un programme de modernisation des cités
dites religieuses. Et tant pis si des villes plus méritantes
démographiquement et économiquement vont être laissées en rade. »
Il
est vrai que le Président Macky Sall avait été encouragé, par des
« intellectuels », des « ex-communistes repentis », forces occultes
(maçonniques, autres), dès son accession à la magistrature
suprême à essayer de fragiliser les familles religieuses ou du moins à
les ignorer afin de se débarrasser d’elles une bonne fois
pour toute car d’après leur analyse le Président avait été élu sans leur
soutien. Comme si parmi les 65% de sénégalais il n y avait pas de
tidianes, de mourides, de khadr etc…
Nous
osons espérer que le Président ne suivra pas ces groupuscules qui ne
représentaient souvent pas grand monde. Car comment développer ce pays
en ignorant les forces les plus vives et les plus dynamiques de la
Nation, aussi bien sur le plan économique, culturel que social ? On l’oublie souvent,
les chefs religieux ne seraient aucunement considérés si ce n’étaient
les populations qui sont derrières eux et qui leur sont très attachés à
cause du rôle religieux, social et de la défense de leurs intérêts
qu’ils jouent en général pour elles. Je ne veux pas faire ici l’apologie de la consigne de vote politique, qui pouvait parfaitement se comprendre dans
l’évolution politique du Sénégal, mais aujourd’hui je suis
personnellement d’avis que les grands chefs religieux qui comptent des
fidèles dans tous les partis doivent restés neutre afin de mieux jouer
leur rôle de régulateurs sociaux dans le pays. Sauf dans certains
cas comme contre des candidats qui prônent des valeurs
anti-islamiques ou des politiques économiques clairement allant à
l’encontre des intérêts du pays. Ou si certains d’entre ces chefs
religieux sont porteurs d’une offre politique alternative et crédible
qu’ils « vendraient » aux électeurs comme tout autre candidat.
D’ailleurs en ce qui concerne la haute hiérarchie mouride aucun Ndiguel
en matière de vote n’a été donné lors d’élection depuis maintenant 26
ans. Tous les « Ndiguel » depuis sont tout à fait périphériques et
n’engageant nullement la communauté mouride.
Heureusement, dans la station où il se trouve, le Président de la République dispose toujours d’informations, de renseignements qui lui ont permis de se rendre compte que l’option d’ignorer ou d’affaiblir les religieux n’était pas viable pour le Sénégal.
Il
est évident que les forces antireligieuses et surtout anti-mourides ne
baisseront jamais les armes. Cet article participe peut être d’une
tentative de raviver la lutte ou le dénigrement contre les communautés
religieuses, notamment le Mouridisme.
Quant
à la pique contre le Président Sall pour avoir fait du Magal un jour
férié, n’est on pas en démocratie ? Si l’Exécutif propose une loi et que
l’Assemblée, représentation Nationale la vote, où est le problème ? Ou
bien cette démocratie que le journaliste a pourtant magnifiée
dans son texte ne doit jamais bénéficier aux communautés religieuses,
même si elles sont des citoyens à part entière ? Ou bien veut- il faire
d’elles des citoyens entièrement à part au nom d’un « laïcisme » devenu
la « secte » d’une certaine élite intellectuelle ?
Pour
ce qui est des « cités dites religieuses », MON s’offusque du programme
de modernisation de ces villes en affirmant que des villes plus
méritantes démographiquement et économiquement seront laissées en rade. Touba, deuxième ville du Sénégal sur le plan démographique, disposant d’infrastructures d’accueil construites par les talibés mourides,
occupant une très grande place dans l’économie du pays, accueillant
chaque année plus de trois millions de talibés et de visiteurs à
l’occasion du Grand Magal, mériterait-t-elle moins que Thiès ou Fatck
d’être modernisée ?
Touba
qui, lors du conseil des Ministres décentralisé a hébergé la délégation
gouvernementale à la place de la capital régionale Diourbel car
disposant, contrairement à celle ci de sites construits par les fidèles
mourides eux même. Faisant ainsi des économies sur les ressources des
contribuables sénégalais. Il est clair qu’un investissement à Tivaouane a
plus de chance de bénéficier au plus grand nombre de sénégalais de tous
bord que celui fait à Thies, ne serait qu’à cause du Gamou et autres
évènements religieux dans cette ville. C’est le cas de presque toutes
les cités religieuses. De ce point de vu et sur un plan purement
citoyen, ces investissements ne sont nullement une faveur à ces cités au
détriment d’autres villes du pays. Et puis dans ce pays qui nous
appartient à tous ne devrions nous pas nous réjouir de tout ce que
l’Etat fait dans n’importe quelle contrée du Sénégal comme d’un bien qui
appartient à tous les citoyens du pays ?
Sans
nier que l’analyse du journaliste dans cet article est parfois très
pertinente, malheureusement il est tombé dans des clichés et amalgames
contre les mourides-baol-baol, par ses attaques injustifiées qui ont
rendu son texte non équilibré et franchement anti-mouride, alors qu’il
semblait vouloir parler de l’indépendance du Sénégal. A moins que, comme
il transparaît dans l’article, son but principal était de profiter de
l’évènement du 4 avril pour régler ses comptes avec la communauté
mouride. Ou bien voulait- il également régler ses autres comptes avec
l’ex-Président Wade, pour qui comme on le sait Mamadou Oumar Ndiaye a eu
à travailler dans le journal du PDS « SOPI » comme rédacteur en chef,
avant de « transhumer », comme l’affirme Satelit Magazine « Mamadou
Oumar Ndiaye lui a été un proche de l’opposant Wade, pour avoir dirigé
le journal « Sopi », que celui-ci publiait. Mais ils rompront bien avant
l’alternance. Mamadou OmarNdiaye, que l’on surnomme Mon, se rapprochera
alors d’Ousmane Tanor Dieng, à l’époque homme puissant auprès du
président Diouf ». En tout cas sous
prétexte d’une analyse des quatre régimes qui ont gouverné le Sénégal
depuis notre indépendance, le texte de MON frise l’anti-Mouridisme
primaire.
Cheikh Fatma Mbacké,
Ingénieur informaticien et chercheur mouride
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