De
son arrestation à Diéwol le samedi 10 août 1895- qui marque le début de
son exil pour le Gabon- jusqu’à son rappel à Dieu le 19 juillet 1927 à
Diourbel, Serigne Touba, Khadimou Rassoul, Cheikh Ahmadou Bamba ne
connut point la liberté ni le privilège de s’occuper de sa famille:
Trente deux (32 ans) de résidence surveillée dont sept (7ans) de
déportation au Gabon (21 septembre 1895-11 novembre 1902) où il fut
soumis à des conditions inhumaines dans une forêt équatoriale hostile où
un sahélien n’avait aucune chance de survie. Ainsi donc, le choix du
lieu de déportation était bien calculé et le colon n’envisageait point
un seul instant son retour au Sénégal. De retour d’exil le 11 novembre
1902, les autorités coloniales ne lui laissèrent aucun répit. Le 11 juin
1903, une expédition composée de 150 spahis et de 100 tirailleurs
débarque à Mbacké Baol ; il se constitua derechef prisonnier le 14 juin
1903 à Darou Manane contre l’avis de ses talibés qui voulaient en
découdre avec l’armée coloniale. Le 19 juin 1903, il fut envoyé en
résidence obligatoire en Mauritanie (notamment à Saout El Mah chez
Cheikh Sidya) jusqu’en 1907 puis à Thieyène dans le cercle de Louga de
1907 à 1912 et, enfin en résidence surveillée à Diourbel du 15 janvier
1912 au 19 juillet 1927.
Dans
l’histoire des religions- et à ce propos, l’œuvre de Mercéa Eliade fait
toujours autorité - les Prophètes et les Saints qui ont mené des
guerres saintes le firent avec des compagnons dévoués et loyaux mais
Cheikh Ahmadou Bamba, Serigne Touba, le plus éminent prisonnier
politique de l’Histoire, est parti seul en exil. Et, il relata lui-même
toutes les péripéties de son long périple. Il fut donc son propre
biographe. Comme le disait avec pertinence La Rochefoucault: La gloire des grands hommes doit toujours se mesurer aux moyens dont ils se sont servis pour l’acquérir !
Il
nous paraît, aujourd’hui, capital en ce mois béni de Safar, non point
de revisiter la vie sublime de cette valeur essentielle du nationalisme
africain mais rapporter fidèlement (Ndakh Kat Lentinor Dou Téyé Diw Té Douko Sopi !) des témoignages qui prouvent à suffisance que : Ken Dou Mom Té Dou Ken !
-Le témoignage d’Antoine Martin Arthur Lasselves,
Administrateur du Cercle de Diourbel. D’octobre 1913 à novembre 1915,
le Commandant Lasselves mena son enquête, avec un zèle sans précédent.
Les agissements et l’arrogance de l’administrateur finirent par indigner
les fidèles mourides, au point que ceux-ci sollicitaient du Cheikh
qu’il prie DIEU de le débarrasser de Mr Lasselves. Le Cheikh en souriant
leur répondit que cet homme était en réalité envoyé par la grâce
divine, pour lever les faux soupçons en son encontre. Au terme de sa
mission, le Commandant Lasselves rédigea un rapport dont nous vous
tenons, ci-contre, la substance : <<…Ce Cheikh Bamba détient
certes une puissance innée dont la raison ne parvient pas à saisir la
source et expliquer la capacité de forcer la sympathie. La soumission
des hommes à lui est extraordinaire et leur amour pour lui les rend
inconditionnels. Il semble qu’il détienne une lumière prophétique et un
secret divin semblable à ce que nous lisons dans l’histoire des
Prophètes et leurs peuples. Celui-là (le Cheikh) se distingue toutefois
par une pureté de cœur, par une bonté, une grandeur d’âme et un amour
aussi bien pour l’ami que pour l’ennemi, qualités dans lesquelles ses
prédécesseurs l’auraient envié, quelque grand que fussent leurs vertus,
leur piété et leur prestige. Les plus injustes des hommes et les plus
ignorants des réalités humaines sont ceux qui avaient porté contre lui
de fausses accusations consistant à lui prêter l’ambition du pouvoir
temporel. Je sais que les Prophètes et les Saints qui ont mené une
guerre sainte, l’ont fait sans disposer de la moitié de la force dont
dispose ce Cheikh...>>
-Un poème composé par le grand maître Cheikh Omar Kurdi Naqshbandi** fut
joint à la lettre de doléances que les notables du Hedjaz envoyèrent à
Khadim Rassoul en 1926 à Diourbel pour solliciter son appui pour la
prise en charge des lieux saints de l’Islam et de leurs habitants après
l’abolition du Khalifat en 1924 qui priva les musulmans sunnites d’une
autorité centrale (1). Ce poème d’une remarquable beauté résume bien la dimension exceptionnelle et universelle du Cheikh.
<<La lumière de la sainteté est une preuve évidente.
Mais ne peut la distinguer que celui dont l’intellect est illuminé.
Regardez-la bien apparente sur le visage de celui qui a dissipé l’ignorance dans le Soudan.
C’est le cheikh Ahmed qui s’est distingué par les louanges et les actions de grâce.
C’est le Cheikh de la Haqiqa, de la Tarîqa et de la Guidance.
Il conduit les créatures vers leur Seigneur en toute évidence.
Il est l’astre des connaissances qui rayonne sur les intelligences.
Il est l’océan du savoir qui déborde de bienfaisance
Ô Serviteur du Prophète ! Toi dont les secrets sont au-delà de la compréhension,
Vos grâces nous sont parvenues jusqu’à Médine
Et vos chants ont enchanté notre atmosphère
Nous voici au nom des Médinois te présentant les hommages et les remerciements dus à ton illustre rang.
Tu es notre protecteur et notre sauveur, nous le clamons haut et fort
Afin que les contemporains et les générations futures
Trouvent la voie du Salut et du Bonheur
Daigne, Ô Cheikh ! Poser sur nous ton regard sanctissime
Afin de purifier nos âmes et apaiser nos craintes.
Sois magnanime avec les habitants de Médine
Et satisfais leur requête eu égard au Prophète élu,
Sur Lui la paix et le Salut tant que dureront les terres et les cieux>>
-Le Président Mamadou Dia (2)
qui nous a hélas quitté- dont la rigueur morale, le patriotisme et la
probité intellectuelle ne souffrent d’aucune aspérité - ne disait-il pas
le 04 septembre 1957, notamment à Touba :
<<
Pour nous Sénégalais, pour nous nationalistes sénégalais, lé pèlerinage
de Touba n’est pas bien évidement, une affaire politique électorale. Ce
n’est pas non plus le simple accomplissement d’un rite ordinaire. Plus
que tout cela, et au- delà de toutes les petites préoccupations
immédiates, Touba est pour nous, à travers les années, et dans la longue
marche que nous avons entreprise, une référence fondamentale. Car le
Mouridisme est une création originale dont le fondateur est un Saint pas
comme les autres. Ahmadou Bamba nous apparaît avant tout comme le
Marabout dont la vie, l’œuvre, la doctrine se sont définies en
s’opposant, parfois durement, à toutes les influences étrangères et se
sont exprimées dans une création toute nouvelle et purement africaine. A
ce titre, l’héritage d’Ahmadou Bamba constitue à la fois un
enrichissement inappréciable de notre patrimoine spirituel et une
affirmation de cette autonomie culturelle qui est, tout autant que
l’indépendance économique, une condition nécessaire du développement
national>>. Et, le Président Dia de poursuivre << Lorsque
que je dis que toute la vie d’Ahmadou Bamba a été marquée par cette
volonté de se définir par ses propres valeurs, et en s’opposant à toutes
les influences, à toutes les pressions, je ne veux pas tout rappeler
d’une histoire que chaque Sénégalais doit cependant connaître. Et quel
sénégalais ignore les difficultés qu’a rencontrées Ahmadou Bamba, les
persécutions mêmes qu’il a subies de la part des autorités
administratives. A toutes les menaces, à toutes les pressions, Ahmadou
Bamba a résisté, simplement, sans ostentation, mais sans défaillance,
maintenant la pureté de sa doctrine et son indépendance à l’égard des
pouvoirs : cette indépendance à l’égard de César hors de laquelle aucune
spiritualité ne peut s’épanouir. Le Mouridisme a repensé complètement
l’Islam, dans le respect de l’orthodoxie, et selon le génie de notre
peuple. Par cet effort doctrinal, l’Islam au Sénégal a cessé d’être une
religion importée pour devenir une religion populaire, une religion
vraiment nationale incarnée au plus profond de nous mêmes. Pour toutes
ces raisons que j’ai dites à Touba jeudi dernier, pour tous ces apports
constitutifs de notre personnalité sénégalaise, nous considérons Ahmadou
Bamba comme une des valeurs essentielles du nationalisme africain, et
le Mouridisme comme un élément fondamental de notre patrimoine
culturel>>.
Pour le Président Dia
<< Touba est donc bien pour nous le lieu où a triomphé l'esprit
de résistance et la dignité sénégalaise. A qui serait tenté de
l'oublier, Touba rappelle que l’estime, même celle des adversaires, se
mérite. Elle ne vient pas récompenser la servilité ou l'acquiescement
systématique. Elle reconnaît la valeur de qui s'affirme, dans
l'opposition s'il le faut. Toute personnalité qui maintient son
intégrité, obtient sa reconnaissance. La dignité, qu'elle soit d'un
homme ou d'un peuple, se conquiert, mais ne s'achète pas. C'est pourquoi
le pèlerinage de Touba est notre pèlerinage, à nous nationalistes
sénégalais, et tel est le sens du témoignage que nous rendons lorsque
nous participons à ce grand rassemblement et à cet acte de foi
sénégalais >>
-Le 09 août 2007, dans une remarquable contribution dédiée au Cheikh Mouhamadou Mourtada Mbacké (PSL), Feu mon oncle El Hadj Talla Sidy Alboury Ndiaye (Biographe
de Serigne Touba et Ancien secrétaire particulier de Serigne Cheikh
Ahmadou Mbacké Gaïndé Fatma) écrivait avec pertinence (3) : <<La
naissance de la Mouridya s’est faite à la fois contre le processus
d’occidentalisation et d’arabisation. Le double refus des modèles
importés constituait de fait, une troisième voie transcendant les
processus de vassalisation. Pour être efficiente, cette forme de
résistance devait se situer au plan culturel. En
soi, c’était une révolution. Car pour la première fois, face aux échecs
patents des résistances armées, une nouvelle forme de riposte, non
violente mais déroutante pour les colons qui misaient sur le fer et la
Bible aux fins d’assujettir les peuples africains, venait d’être
trouvée>>’.
C’est
le lieu de rendre un hommage au Cheikh Mouhamadou Mourtada qui, toute
sa vie durant, porta le flambeau de la Mouridya dans le monde réalisant
ainsi la prédiction de son Vénéré Père Serigne Touba Khadimou Rassoul en
1897 lors de son exil au Gabon (3). La transformation
sociale, au sens marxiste du terme c’est Cheikh Ahmadou Bamba Serigne
Touba qui l’a réussie sans verser une seule goutte de sang, notamment
par l’émergence de nouveaux rapports de forces apaisés où la naissance,
l’appartenance ethnique, la race, la position sociale ne constituent
point des critères discriminants d’élévation spirituelle et, partant, de
l’acquisition de l’Agrément de Dieu ou de son Représentant. Seuls
l’Attachement incommensurable au Cheikh (Sope), le Respect du Ndigueul (Ordre conforme avec la Volonté divine) et la Détermination (Pastef) font la différence et mènent au Ngueureum
(Agrément de Dieu). Ainsi donc, le 18 Safar 1920 marque le début d’une
révolution culturelle universelle qui continue encore de plus belle
parce que paisible et sereine. Elle prouve à suffisance que la bataille
culturelle et spirituelle a été bien gagnée et ne sera jamais perdue.
JAMAIS !
Nous souhaitons une santé de fer et une longue vie à Cheikh Sidy Moukhtar Mbacké Bara, Khalife Général des Mourides.
**Cheikh Omar Kurdi
est l’autorité suprême de la Naqshbandiya en son époque. Il est le
petit fils de Cheikh Mahmud Kurdi Kourani qui fut le gardien du mausolée
du Prophète (PSL) et qui parlait avec ce dernier dans sa tombe. Son
influence avait rayonné sur tous les savants et les Awliya du Monde
arabe et asiatique.
Docteur Ibrahima DEME
Vétérinaire Chargé d’études
Unité 4 Parcelles Assainies. N° 307
DAKAR (Sénégal)
E-Mail :
idemgfatm@gmail.com
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