lundi 26 août 2013

Faith in the market (Foi et Business chez les mourides)

Cet intéressant article , consacré au dynamisme économique des mourides, a été tiré du  célèbre journal The Economist, constituant un magazine hebdomadaire libéral mondialement connu et une publication sur les affaires internationales dont le premier numéro est paru en septembre 1843. Il est publié par The Economist Newspaper Limited (Filiale de Pearson) à Londres. Les sujets les plus souvent abordés dans ce magazine sont l'économie internationale, la politique, les affaires, la finance, les sciences, les technologies et les arts. Tiré à plus d'un million d'exemplaires, 80 % du tirage est diffusé hors de Grande-Bretagne. Le journal a une diffusion de 1.138.118 exemplaires sur la première moitié de 2006 selon l'Audit Bureau of Circulations, l'organisme de mesure anglais. 53% de ses lecteurs sont nord américains, 14% britanniques et 19% d'Europe continentale. Le journal revendique des lecteurs dans 206 pays.
Faith in the market (Foi et Business)

19 Décembre 2006 | ROME ET TOUBA (SENEGAL)
Derrière les marchés en plein air d’Italie, on trouve un réseau de musulmans africains qui proposent une nouvelle réponse à la mondialisation…

« Comme tout récent visiteur de Rome pourra le constater,  le paysage urbain de l'Italie offre un nouveau visage ayant tendance à devenir aussi banal que ses cafés vendant du délicieux cappuccino. Si vous prenez l'avenue menant au Vatican, en passant par la Via della Conciliazione, vous verrez qu’une bonne partie du trottoir est parsemée de commerçants africains qui vous abordent avec des statuettes «ethniques» , des sacs, des ceintures ou des lunettes de soleil de contrefaçon. Si vous prenez un peu le temps de les observer un moment, vous assisterez au jeu du chat et de la souris auquel ces vendeurs jouent avec la police. Ainsi à chaque fois qu’ils sont avertis d’une descente de la police, ils empaquettent rapidement leurs articles dans un sac et se sauvent. Si jamais ils ne réussissent pas à s'échapper, ce sera aux policiers de se charger d’empaqueter leurs marchandises et de les  emmener avec eux. (…)

En réalité, ces commerçants sur les rues du Vatican sont tout sauf désorganisés. Ils appartiennent en fait à une communauté fortement disciplinée et internationalement connue, à la fois religieuse et économique, ayant son centre dans une autre ville sainte Touba, située au centre du Sénégal, à trois heures de route de Dakar, la capitale.

A l’instar de tant d’autres émigrés sénégalais (dont certains sont conducteurs de taxis à New York ou travaillent à la cueillette des citrons en Espagne), ces marchands ambulants de Rome appartiennent à une dynamique communauté musulmane soufie appelée les mourides, qui constituent des disciples de Cheikh Amadou Bamba, un chef religieux disparu en 1927. Inspirés par ses enseignements, les mourides ont apporté une réponse ingénieuse à l'avènement des marchés internationaux de biens et de services.

La majorité des 11 millions de sénégalais sont musulmans et appartiennent en général à l’une des deux grandes communautés du pays : les mourides et les Tidjanes, plus anciens. Bamba a défini son enseignement, maintenant connu sous le nom de Mouridisme, comme un retour aux sources de l'Islam. Mais son Islam a peu de choses à voir avec la version plus austère répandue à partir de l’Arabie Saoudite. Une chose est que le mouridisme consacre le culte des saints et de leurs tombeaux - y compris celui de son fondateur - que les dévots Saoudiens rejettent [1]. Mais les mourides qui se suffisent à eux-mêmes n’en tiennent aucun compte ; ils rassemblent leurs fonds pour leurs causes préférées et construisent leurs propres mosquées sans nul besoin de l’argent saoudien.

Dans sa maison de Touba, une ville pieuse mais cosmopolite, où fleurissent des entreprises locales à chaque coin de rue, un petit-fils de Bamba, Cheikh Ka, nous explique ainsi la doctrine consistant à toujours compter sur soi-même : « Si vous dépendez des autres» dit- il, « vous ne serez jamais libre, c’est ça notre philosophie de vie. »  Avant sa mort, Bamba avait exprimé plusieurs souhaits : il a notamment espéré que Touba, qu'il a fondé, serait une ville sainte. Sa famille au sens étendu, les Mbacké, comprend beaucoup de marabouts, ou enseignants en sciences religieuses, qui intègrent dans leur enseignement le goût du travail ardu, l'indépendance et la solidarité. Ces idées furent à la base des mouvements des disciples mourides vers d’autres pays à la recherche du travail, afin de pouvoir envoyer de l'argent à leurs familles, de pouvoir soutenir leurs marabouts (beaucoup d’entre ceux-ci voyagent de par le monde pour rendre visite à leurs disciples) et développer la ville de Touba.

Tous ces facteurs ont contribué à faire des mourides une des communautés africaines qui ont le mieux réussi, aussi bien chez eux qu’à l’étranger. Partout où ils se retrouvent, ils se réunissent ensemble pour acquérir une mosquée et un centre social. Leurs réseaux d’entraide permettent aux nouveaux migrants de quitter le Sénégal, de trouver du travail et d’obtenir des papiers. Loin de se comporter en victimes passives du destin, beaucoup de mourides sont d’habiles opérateurs économiques dans un réseau complexe et allant au-delà des frontières. Prenons le cas de Alioune Ka, propriétaire d'un magasin de vente en gros situé près de la station Termini de Rome ; il est le frère de Cheikh Ka qui se trouve à Touba et qui s’occupe des parents restés au Sénégal. Alioune vend des articles « ethniques » à des marchands ambulants sénégalais (ou originaires d'autres pays) qui les revendent à leur tour dans les rues ou sur les plages. Une partie de ses stocks proviennent du Sénégal, une grande partie d'Indonésie, de Thaïlande ou d'Inde.

Alioune Ka admet cependant qu’il arrive que d’autres commerçants émigrés soient plus inventifs que les mourides. Il admire ainsi certains de ses concurrents dont beaucoup viennent de Bangladesh car, dit-il : « Ils surveillent les prévisions météorologiques de sorte que si de la pluie est prévue le lendemain, ils se précipitent pour vendre des parapluies.» Une fois dans la rue, M. Ka échange des salutations enthousiastes avec ses camarades mourides qui forment des groupes solidaires et joyeux. Les vendeurs de sacs et de ceintures, dont la plupart sont fabriqués en Chine, se regroupent ainsi pour échanger leurs techniques pour échapper à la vigilance de la police. Au moment du déjeuner, M. Ka est rejoint par un de ses compatriotes, N. Gueye, qui s’installe à l’extérieur de la boutique pour vendre des plats chauds sénégalais à ses clients, à 5 euros le repas.

Une fois par semaine, la plupart des mourides vivant à Rome se rassemblent pour prier, se retrouver entre eux et voir ceux qui ont besoin d’assistance. Il arrive que de petits groupes d’entre eux se forment pour louer ensemble un container et envoyer au pays leurs achats en biens de consommation qui seront revendus au marché Sandaga de Dakar, dominé par les mourides. Il existe différentes voies par lesquelles l’argent est envoyé au pays. Les entreprises internationales spécialisées dans le transfert d’argent disposent ainsi d’un grand nombre de succursales partout au Sénégal. Mais il est souvent des voies plus simples pour les émigrés d’assister leurs familles : appeler par exemple un commerçant de Sandaga qui se chargera d’avancer l’argent à un parent dans le besoin.

On estime que les mourides représentent près de 40% de la population sénégalaise. Mais ils forment la majorité de la diaspora estimée, quant à elle, à au moins 700 000 émigrés. Les mourides constituent probablement plus de 80% des marchands ambulants sénégalais circulant dans les grandes artères d’Italie. (La France, ancienne puissance coloniale, a cessé d’être le pays de prédilection des émigrés sénégalais. Pendant une décennie, elle fut remplacée par l’Italie, mais de nos jours l’Espagne est entrain de lui prendre le pas. Ainsi au cours de ce mois (Décembre 2006) près de 80 sénégalais ont disparu emportés par le naufrage de leur pirogue en destination des Canaries.)

La plupart des mourides disent qu’ils préfèrent le commerce ambulant aux emplois sédentaires. Cela reflète, d’une certaine manière, l’enseignement de Bamba de toujours compter sur soi-même. Dans tous les cas, très peu d’entre eux ont été coupables de délits graves. Une fois qu’il aura réussi à obtenir des papiers et un visa, le marchand mouride est prêt à retourner au bercail pendant plusieurs mois d’affilée. Ainsi à la fin de cette année, des milliers d’entre eux retourneront chez eux pour la fête musulmane appelée Tabaski. Beaucoup d’entre eux prolongeront leur séjour jusqu’à l’autre grand évènement religieux, le Grand Magal, avant de retourner en Europe au printemps.

L’une des forces des mourides est leur organisation hiérarchique pyramidale. Au sommet de la hiérarchie se trouve le Calife, un titre porté en ce moment par le dernier fils vivant de Bamba. Une fois que ce dernier se prononce sur une question importante, tout le monde s’y aligne. Sous sa direction, Touba a connu une expansion d’un rythme phénoménal. La population de la ville, estimée à quelques 2 000 âmes en 1958, a probablement atteint les 700 000 aujourd’hui[2]. L’alcool et le tabac sont interdits à Touba qui jouit d’une certaine autonomie à l’intérieur du Sénégal. Une université est entrain d’y être construite. Comparée à d’autres villes musulmanes, le climat social est assez libéral. Les femmes évitent les pantalons mais ne portent pas pour autant des voiles et beaucoup ne se couvrent pas les cheveux. Les garçons et les filles vont ensemble à l’école. Les appels pour les participations volontaires en vue de la construction d’un hôpital ou pour la mise en place d’un réseau hydraulique peuvent apporter des millions d’euros, beaucoup de mourides étant riches et généreux, à l’instar de l’international sénégalais de Bolton (Angleterre), El Hadj Diouf, faisant partie des donateurs aux projets mourides (...)

Assez mal connus pour le moment, les mourides ont certainement beaucoup de choses à enseigner au reste du monde, non seulement sur la manière de faire face à la mondialisation, mais également sur la façon de pratiquer la religion d’une manière tout à fait pacifique…»


Source: majalis.org

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