samedi 7 septembre 2013

Les Logiques Du Travail Chez Les Mourides


Les mourides du Sénégal ont une conception du travail différente de la conception occidentale.
Leurs logiques en matière de travail sont multiples, ils n'ont pas une seule conception du travail. Et Raymundo Panikkar, en parlant des concepts, affirmait qu'aucun n'est universel par lui-même. Selon lui, chaque concept est valide là où il a été conçu. Cette idée de Raymundo Pannikar, s'applique également à la notion de travail.

En effet, la notion même de travail n'est pas unique, elle est subjective. Dans certaines sociétés, le travail est même considéré comme un jeu, notamment chez les Dogons de Sango étudiés par M. Leiris. Dans cette communauté, le travail va au delà de la conception moderne, il " est vécu aussi de façon ludique, par ses danses, ses chants, ce qui est un paradoxe car le travail est le contraire du jeu ".. Chez les mourides également le travail dépasse la vision occidentale et prend en compte des données non " labellisées " par les occidentaux comme la spiritualité et les services rendus aux tiers. Ainsi le travail serait un concept anthropologique dépendant de chaque communauté. Et d'ailleurs sur le plan international il n'existe pas de véritable définition du mot travail établi par le Bureau international du travail (BIT).

Les mourides en tant que communauté, ont donc leurs visions du travail qu'ils essaient d'adapter aux réalités de leur environnement. Et souvent, on a tendance à opposer tradition et modernité, or dans la confrérie mouride coexistent un aspect traditionnel et un aspect moderne. Elle essaie de créer des structures, permettant de répondre à chaque fois aux éléments qui l'entouraient afin de poursuivre leurs logiques de travail. Ainsi, la confrérie mouride semble apparaître comme une communauté " qui se pense ", ce qui est très important en anthropologie. La réflexion sur soi, la volonté de se questionner sur son existence, son devenir sont importantes, pour sa pérennité et pour trouver les moyens de s'adapter sans se dénaturer, en gardant toujours vivantes ses valeurs. 

La communauté mouride tente donc, d'allier ses valeurs traditionnelles et la modernité. Et d'ailleurs, le titre figurant sur le dossier présenté lors de la Conférence d'Istanbul est très caractéristique de cette alliance, entre la modernité (les infrastructures) et la tradition (liée à la spiritualité). Et aujourd'hui, elle compte de nombreux disciples diplômés, d'un niveau scolaire élevé, ce qui n'était pas le cas il y a quelques années. En 1969, Donal Cruise O'Brien constatait que " les serviteurs les plus dévoués sont des paysans vivant dans les villages isolés. Ceux qui vivent à la ville, (…) ou qui ont été ne serait-ce que partiellement instruits dans les écoles du gouvernement, ou qui s'occupent de commerce, sont plus réticents à accepter l'autorité des marabouts ". Or aujourd'hui, le mouridisme s'est répandu sur plusieurs catégories socio-professionnelles. Le commerce dont Cruise O'Brien fait mention est aujourd'hui contrôlé en majorité par les mourides. Et les disciples instruits ou universitaires sont nombreux dans la confrérie. Et l'association Ramu à Touba, rassemble toutes ces catégories dans une même entité, dans le but de " travailler " ensemble. Et dans ce sens le mouridisme régule les rapports sociaux, entre individus de professions et de classes d'âges différents, ceux qui n'étaient pas sensés se côtoyer de près dans la société civile.

Et aujourd'hui, l'élévation du niveau scolaire des disciples, contribue à l'adaptation, de la confrérie mouride à l'ère technologique, aux nouveaux outils de la communication. En effet, alors que beaucoup n'ont pas encore Internet ou ne le connaissent pas ou peu, les mourides sont déjà sur Internet. Ils ont des sites ou pages sur le web, crées grâce à leurs " kasbou " et à l'appui de disciples informaticiens. Ils sont eux aussi sur les " autoroutes de l'information " suivant l'expression du Vice-Président américain Al Gore. Et au-delà de l'idée d'adaptation , on peut se demander s'il n'y a pas aujourd'hui une volonté d'anticipation de la part des mourides.

par Fatoumata SOW, 
Université de Paris 1, Panthéon Sorbonne

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