jeudi 19 septembre 2013

Métiers informels: Un tour aux cafés Touba à Nouakchott

Face au chômage qui touche particulièrement les jeunes, ces derniers appliquent un système D qui les mène à transposer des petits boulots qui marchent relativement bien ailleurs, notamment au Sénégal. C'est le cas des vendeurs de café Touba, pléthoriques dans les quartiers périphériques. Reportage.
Métiers informels: Un tour aux cafés Touba
Kayé Fall, Idy Mor Fall et Fatou Boye, ont en commun la même origine, le Sénégal. Un autre point commun les lie: ils sont tous devenus vendeurs de café Touba par défaut, faute de meilleures perspectives d'avenir. En attendant une meilleure baraka, et un mouvement plus favorable de la roue du destin, ils vendent cette boisson du pays, particulièrement appréciée par la diaspora sénégalaise à Nouakchott, avec, ancré au fonds du cœur, la foi ferme qu'avec le travail, les jours meilleurs viendront, dans toute la philosophie des Talibés.

Depuis huit mois, Idy Mor Sarr, originaire de Touba, et chauffeur de profession, vend du café Touba au coin du cinéma Saada pour joindre les deux bouts, dans un contexte où le travail manque. À 37 ans, ce père de trois enfants est resté cinq mois au chômage, avant de s’introduire dans ce milieu grâce à un ami du secteur.
«J'ai déposé un Cv à Tasiast; on a dit qu'on recrutait des chauffeurs là-bas. Et dans d'autre sociétés. Mais les temps sont durs; vraiment. Et on doit bien nourrir les petits, non?» opine Idy entre deux gobelets distribués à un taxi, de bref passage, pour l’élixir noir de la journée.

Chaque matin, il commence sa journée à 5h30, en préparant son café à base de feuille sèche, et de produits locaux tels que le korom polé, le djar, du sucre et d'une bonne quantité d’eau chaude. Le gobelet est vendu à 40 ouguiyas chez Idy. Le prix varie à plus ou moins 10 ouguiyas selon les points de vente.

Après quatre heures de préparation et de cuisson, il accueille autour de sa cafeteria en plein air, «entre 60 et 70 clients chaque jour»; pour la plupart des chauffeurs, et des compatriotes. «Je peux gagner jusqu'à 120 000 ouguiyas dans les bonnes périodes» explique Idy, qui mise surtout sur sa clientèle fidélisée. «Il y a une forme de dépendance à ce café, surtout le week-end où on a l'impression que tous les clients ont un manque en même temps. C'est pour ça que le week-end je gagne beaucoup» dit Idy en touillant sa petite marmite où bout le précieux café.

Jeune au chômage: servir le café, à défaut

Métiers informels: Un tour aux cafés Touba
Avec son seau de café, le jeune Kayé, 19 ans et aîné de sa famille, sert «taf-taf» (rapidement- ndlr) ses clients taximen en discutant avec sa mère assise juste à coté, sur une natte grossièrement tressée, avec ses deux filles jumelles demandant l’aumône. «Je suis l'aîné et l'espoir de ma mère; je ne peux donc pas rester à ne rien faire. D'une façon ou d'une autre je dois l'aider. Et vendre du café Touba est un moyen comme un autre» murmure en souriant Kayé. «Un bon remède pour l'esprit et le moral» affirme, visiblement de bonne humeur, un chauffeur de taxi qui vient de prendre sa dose, et redémarre aussitôt.

Les matinées et les fins d'après-midi sont les moments les plus bénéfiques pour Kayé. «Les taxis ou les autres travailleurs en prennent le matin pour bien se réveiller, en allant au boulot; et en fin d'après-midi pour se remettre d'aplomb» dit-il.
D'autres, fervents amateurs, quasi-religieux du breuvage sénégalais en consomment pour d'autres raisons, moins prosaïques. Comme Amadou Kane, cordonnier, disciple, talibé de Sérigne Touba, pour qui «le café Touba soigne, nettoie le ventre et constitue une saine voie se laver de ses péchés». Babacar Fall, s'arrêtant un moment pour se faire servir par Kayé, explique quant à lui que «Dieu aide tout celui qui consomme du café Touba et l’amène au paradis».

Un peu plus loin au tournant de l’hôtel Ikrama, Fatou, 21 ans et originaire de Dakar, vend des sandwichs et du café Touba. elle s’est lancée dans ce circuit depuis un mois dans le but de se faire de l’argent. «C'est le moyen que je me suis donné pour économiser des sous et préparer mon voyage en Espagne dans un an et demi ou deux» explique-t-elle, optimiste. «C'est parfois difficile, mais l'ambiance est «neekh» (agréable en wolof-ndlr) s'esclaffe-t-elle entre deux louches de café.

Face à une telle concurrence, chaque vendeur développe une forme de rigueur professionnelle mêlée à la pérennisation d'une ambiance de chaleureuses retrouvailles, de rencontres et de confort moral, et fidéliser ainsi une clientèle, qui a le choix, de plus en plus, à chaque coin de rue des quartiers du 5ème ou 6ème, de boire un pot de café Touba.

  par Dina BA(Awa Seydou Traoré), 
Journaliste, Noor Info

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