Cheikh
Sidy Moukhtar Mbacké, communément appelé Mame Cheikh Anta, ou
l’argentier du Mouridisme est né à Porokhane dans la région du Saloum
dans les années 1860 (les dates mentionnées varient de 1860 à 1867 selon
les sources). Fils de la vertueuse Mame Anta Ndiaye cousine de Sokhna
Diarra Bousso et de Momar Anta Saly, il est le frère cadet d’Ahmadou Bamba.
Ses études
Il a appris le Coran auprés des maîtres coraniques célèbres. Le plus
connu parmi eux, pour lui avoir enseigné le plus est Cheikh Abdourahmane
LO. C’est auprés de son grand frère Serigne Mor Diarra qu’il a étudié
les sciences religieuses avant de rejoindre Cheikh Ahmadou Bamba qu’il
ne quittera plus jamais.
Son éducation
Mame Cheikh
Anta voyait en son frère Cheikh Ahmadou Bamba un homme de Dieu, un guide
spirituel qui perfectionnait, à courte durée, l’état de ses compagnons
et améliorait leurs actes. Il n’avait pas hésité à se soumettre à ses
ordres. Il lui vouait une obéissance totale et cherchait à chaque
instant à le satisfaire. Il a été parmi les personnes à recevoir
l’éducation du Cheikh et sa formation. Celui-ci accordait une attention
particulière à la formation de son disciple et frère ; il le préparait
aux tâches importantes qu’il devra assumer par la suite en faveur du
mouvement mouride et de ses fidèles. Faisant preuve d’une parfaite
disposition à recevoir cette formation ; Mame Cheikh Anta était devenu
l’un des hommes de confiance du Cheikh et l’un de ses conseillers les
plus proches, leurs correspondances en constituent une parfaite
illustration.
Mame Cheikh Anta, une personnalité multidimensionnelle
A l’instar de tous les grands hommes du Mouridisme formés par le
Cheikh, Borom Gawaan était un éducateur spirituel ayant sous sa
direction plusieurs daaras. Il s'est d'abord employé à démultiplier
l'enseignement du Maître. Dans ce domaine, il s'est montré si efficace
que bientôt il reçut l'allégeance d'une foule nombreuse de talibés. Il
les organisa en daaras productifs et prospères à l'image de Gawane qu'il
fonda en 1905 non loin de la localité de Bambey. Dans ces daaras, ses
disciples exerçaient comme activité secondaire une agriculture de grande
envergure. Cependant il ne se contentait pas de cette activité
traditionnelle qui ne satisfaisait pas ses grandes et nobles ambitions
pour plusieurs raisons.
D’abord, il y avait devant lui ce
mouvement naissant dirigé par son frère et guide qui était confronté à
d’énormes difficultés et entouré de menaces de la part des ennemis de
l’Islam. Les disciples subissaient de graves atrocités. A cela
s’ajoutaient les nécessités de la vie quotidienne et les recommandations
de l’Islam qui font de l’aide aux nécessiteux une obligation.
Borom Gawaan ne pouvait avoir la conscience tranquille devant cette
situation préoccupante qui nécessitait pour l’atténuer ou pour s’en
sortir, l’assurance d’une autonomie financière.
Après avoir
bien analysé la situation, il s’était lancé dans le domaine de
l’investissement ; il importait et tissait de vastes relations
commerciales avec de grands financiers de son époque. De par ses
activités d'opérateur économique il avait acquis un solide réseau de
relations. Mais il n'en a jamais abusé pour obtenir des passe-droits ou
des privilèges illégaux. Tout juste s'en est-il servi pour la promotion
et la préservation des intérêts de la communauté. Il est à noter que cet
homme très au fait de la charia n'a jamais employé de moyens illicites
dans ses transactions avec ses partenaires d'affaires. Il devient ainsi
l’un des plus importants hommes d’affaires du pays. Il possédait des
biens, des fonds, un parc automobile impressionnant et plusieurs
magasins. Il a été même considéré en 1919 comme l’homme le plus riche du
pays. Mais avec une générosité légendaire, Mame Cheikh Anta consacrait
tous ses biens au service des musulmans, en général, et des mourides en
particulier. C'est en tout cas son exceptionnelle prospérité financière
et sa propension à faire le bien autour de lui qui lui valut
l'appellation " Borom Dërëm ak Gërëm ".
Mame Cheikh Anta et la vie politique
Il s’intéressait à la vie politique du pays. Il observait ses
importantes mutations en suivant de très prés les informations. Il
cherchait même à avoir une certaine influence sur cette politique en
soutenant l’un des acteurs en compétition afin de sauvegarder l’intérêt
général et celui des musulmans. C’est ainsi qu’il avait porté son
soutien à la candidature de Ngalandou Diouf à la députation au parlement
français.
Sa déportation à Ségou
Cette attitude de
Mame Cheikh Anta dans ces élections lui avait valu la colère de Blaise
Diagne, l’adversaire de Ngalandou. Après avoir fomenté de fausses
accusations, Blaise avait donné l’ordre de l’interner jusqu’à Ségou de
1929 à 1935. Dans une déclaration, Serigne Mbacké Bousso a défendu la
position de Borom Gawaan en prouvant sa bonne foi et son innocence et en
démontrant que son accusation n’était, en fait, qu’une machination sans
aucun fondement de vérité. En réalité, cette déclaration était
davantage un soutien moral et une dénonciation de cet acte odieux
qu’une simple preuve innocence de Mame Cheikh Anta. Elle illustre bien
aussi la profondeur des relations des deux hommes.
Ses actions et réalisations
Borm Gawaan avait consacré toute sa vie aux œuvres profitables à
l’ensemble des musulmans, à la contribution à la prospérité de la
communauté mouride et au soulagement des souffrances des fidèles. Ayant comme slogan ce verset du Saint Coran « Tout ce que vous dépensez
dans la bonne cause, Dieu le saura », Mame Cheikh Anta avait toujours
fait preuve d’une générosité légendaire dans les moments difficiles. Ses
réalisations sont ainsi innombrables, toutefois, nous tenons à en citer
à titre d’exemples quelques unes :
- lors d’une grave sècheresse il avait distribué aux sinistrés une quantité de riz estimée à plusieurs milliers de tonnes ;
- il prenait en charge et sauvegarder les infrastructures de la communauté contre les oppresseurs et les agresseurs ;
- il soutenait les petits commerçants en leur accordant beaucoup de facilités sur le plan financier ;
- au compte de son maître, il s’acquittait de certaines obligations
familiales comme en 1922, c'est lui qui conduisit la délégation que
Khadimou Rassoul envoya à Tivaouane pour présenter ses condoléances lors
du rappel à Dieu de Seydi El hadji Malick SY ;
- il
intervenait beaucoup auprès des autorités coloniales, tantôt pour
recueillir des informations concernant son frère et maître, tantôt pour demander le retour de ce dernier ;
- il a aménagé des routes à Diourbel pour faciliter l’accès des visiteurs à la résidence du Cheikh ;
- il a été le premier à faire imprimer un recueil de poèmes composés par le Cheikh ;
- il a réalisé l’un des vœux chers du Cheikh en faisant le pèlerinage à
la Mecque en compagnie de Serigne Fallou Mbacké et d’autres
prédestinés.
Son pèlerinage
Les péripéties de ce voyage sont racontées dans un récit écrit par Serigne Fallou lui-même.
Le 07 mars 1928, au nom de toute la communauté mouride et notamment à
la mémoire de Serigne Touba, Mame Cheikh accompli le pèlerinage aux
Lieux Saints de l'Islam. Cette expédition mémorable fut effectuée en
compagnie de Serigne Fallou MBACKE. Egalement de la partie, il y avait
Serigne Mbacké BOUSSO, Serigne Moulaye BOUSSO, Serigne Tacko MBACKE
(second fils de Mame Cheikh Anta). Trois de ses principaux talibés
complétaient la délégation. Il s'agit de : Serigne Modou Ndiaye DIOP,
Serigne Ibrahima DIA, Serigne Mayoro FALL.
Mame Cheikh Anta
finança entièrement l'expédition de sa poche, depuis les billets en
première classe jusqu'aux provisions consommées durant tout le voyage.
Les escales en France, au Caire, comme le séjour en Terre Sainte ont été
impressionnantes, tant Mame Cheikh, en aucune fois n'a lésiné sur les
dépenses, pour assurer la qualité à ses compagnons d'équipée.
Des
Lieux Saints, il rapporta diverses reliques dont un manuscrit du Coran
reconnu parmi l'un des plus anciens qui existe. Il rapporta également
les couvertures qui revêtaient les mausolées du Prophète (P.S.L.) et de
ses principaux compagnons (que Dieu les comble de bienfaits.) Ces
couvertures serviront à recouvrir les mausolées de Khadimou Rassoul et
de ses principaux disciples. Mame Cheikh Anta se réserva celle de
Seydina Hamza, un oncle et fidèle compagnon du Prophète (P.S.L.), afin
que son propre mausolée en soit paré après sa disparition.
Ses relations avec le Cheikh et sa famille
Les profondes et exceptionnelles relations spirituelles qui le liaient à
son frère et maître depuis sa tendre enfance se sont renforcées au fil
des années. Fidèle entre les fidèles, Mame Cheikh Anta a été l'une des
rares personnes à avoir rendu visite à Serigne Touba dans son exil
gabonais (il l'a trouvé à Lambaréné). De ce voyage mémorable, il a
rapporté des écrits du Cheikh qu’il imprima par la suite. Il a également
rapporté des directives destinées à Mame Thierno Ibra Faty qui avait en
charge les destinées de la communauté en l'absence du Maître. Il a
surtout rapporté aux talibés la certitude que le Maître était bien
vivant et qu'il allait revenir parmi les siens, contrairement aux
informations distillées par l'autorité coloniale dans le but de les
démoraliser.Borom Gawaan entretenait d’excellentes relations aussi bien avec le Cheikh et ses proches qu’avec les autres.
Quant à ses liens avec ses proches et les autres
figures du mouridisme, ils étaient bien connus : il jouissait du
respect et de l’amitié de tous sans exception aucune. Toutefois,
l’amitié qui le liait à Serigne Mbacké Bousso et à Cheikh Mouhammad
Fadel était singulière. Profondément touchés par sa déportation à Ségou,
chacun lui avait témoigné son soutien ; l’un par écrit et l’autre par
une visite qu’il lui a rendue à Ségou et au cours de laquelle il lui a
prédit la fin des épreuves et son retour imminent à son pays.
Par ailleurs Mame Cheikh Anta avait tissé de vastes et bonnes relations
avec le monde extérieur en raison de ses activités commerciales.
En somme, la vie de cette personnalité témoigne d’une ferme et sincère
détermination, d’une vision extraordinaire et d’un dévouement inégalable
au service du Cheikh, de ses disciples et de l’ensemble des musulmans.
L’importance et la portée de ses positions nous rappellent en effet le
troisième khalifde l’Islam Sayyidina Ousmane ibn Affan que Dieu l’agrée
de ses largesses.
Le fait que Cheikhoul Khadim lui ait confié
Darou Salam, son premier village, et lui ait réservé l’honneur de sa
réception à son retour d’éxil au Gabon illustrent parfaitement sa
confiance et son estime pour son frère et disciple Cheikh Anta. Ces
festivités, demeurées mémorables, sont chaque année commémorées dans la
ferveur et l'enthousiasme. C'est le fameux Magal de Darou Salam qu'on
peut considérer comme le premier magal organisé par la communauté
mouride.
Borom Gawaan a été rappelé à Dieu en mai 1941 à Darou Salam où se trouve son mausolée.