samedi 3 septembre 2016

Apparition du croissant lunaire : la Tabaski sera célébrée le lundi 12 septembre 2016

Le croissant lunaire a été aperçu ce vendredi 2 septembre 2016 à la Grande Mosquée de TOUBA. Le premier jour du mois lunaire de Dhûl Hijjah correspond donc au samedi 3 septembre 2016 et la fête de l’Aïd El Kébir ou Aïd al-Adhâ (Tabaski) sera célébrée le lundi 12 septembre 2016.
La fête du sacrifice appelée ’Idul Adhâ, est célébrée chaque année au 10ème jour du mois lunaire de " Dhul Hijjati " par les musulmans du monde entier. C’est une recommandation Divine. Elle est plus connue au Sénégal sous le nom de Tabaski.

jeudi 1 septembre 2016

La Fantastique Audace du Mouridisme [par Mamoussé Diagne, professeur agrégé de philosophie]

Ces extraits sont tirés d'une interview du Professeur Mamoussé Diagne, philosophe agrégé et écrivain, réalisée en 2009 par le site Senenews.com, lors d'un symposium sur le panafricanisme tenu à Dakar.

« Le développement n'est pas une affaire économique. Il y a quelques années, j'avais écrit un texte dans la revue «Ethiopique» qui s'intitulait «Comment dit-on développement en Wolof ?». Ce n'était pas de la provocation, car cette question était tout sauf linguistique. Mais c'était juste pour faire remarquer que le développement n'existe que sur la base d'un certain nombre de critères que conjugue, pour lui-même, le sujet qui aspire au développement. Il en est l'agent, le bénéficiaire et le sujet actif de l'histoire dans ce sens là.

Il n'y a pas de renaissance pour un sujet inconscient de ce qu'il est et de ce qu'il veut. C'est pourquoi l'éthique de la renaissance a besoin que les Africains puissent percevoir leur rapport au monde et le décliner à leur façon. Et il se trouve qu'on ne décline jamais le monde que par le biais de la culture. Il n'y a de vision du monde que culturelle. Et il y a une anecdote qui dit que les esquimaux ont 82 noms pour désigner la neige alors que les Wolofs n'en ont aucun. Et c'est parce que les esquimaux voient 82 neiges différentes là où nous autres, ne voyons pas de neige.

J'ai dit au président si vous construisez le Népad, vous ne pourrez jamais installer une industrie à couper le bois dans un bois sacré en Casamance. Ce n'est pas possible parce que c'est contradictoire à la représentation que le sujet casamançais fait de son rapport à la nature. Cela veut dire que le développement doit être ajusté à la vision culturelle. Ce qui revient à dire que la mise en branle du Népad nécessite une cartographie culturelle de l'Afrique pour faire en sorte que les populations puissent conjuguer les projets avec leur propres langages.

D'ailleurs, dans le même article, j'avais signalé que c'était cela la conscience du mouridisme tout comme le président Wade l'aura soutenu dans sa «doctrine mouride du travail». J'ai dit que si le mouridisme a cette vision du travail, c'est grâce à l'équivalence qui a été posée lors de l'exil du Cheikh, entre le travail et la prière : «Niakh diarignou, Liguèy Tedd», c'est ce qui fait Khelkom.

La puissance de Khelkom, c'est cette conviction extraordinaire que le sujet qui agit est un sujet pour qui l'au-delà est déjà réglé, et que, une fois débarrassé de cette angoisse métaphysique, il ne lui reste qu'à conquérir le monde. C'est ce qui fait que n'importe quel Baol-Baol, qui débarque à Hong Kong, avec sa pile de khassaides entre les mains et sans parler un seul mot chinois, n'a peur de rien.

C'est justement cette audace fantastique qui constitue un levier important qui fait qu'ils peuvent vous faire le canal de Cayor, en une semaine, si le Khalife en exprime le souhait. C'est comme ça d'ailleurs, qu'en dehors de toute technologie de pointe, ils ont porté sur leur tête les cailloux du grand minaret de Mbacké à Touba. Et c'est pour cette raison que le protestantisme a construit le capitalisme.

C'est parce que Luther a fait intervenir la réforme dans les rapports de l'homme à Dieu que le protestantisme a eu cette vision conquérante du monde. Et le seul protestant qui a bâti sa doctrine, ce sont les Etats Unis parce que dans le dollar, il est marqué «In god we trust». Cela n'a rien de religieux, mais c'est le fait de pouvoir transformer une vision religieuse en levier qui permet, à travers la culture, de pouvoir conquérir le réel.

Il faudrait qu'on arrive à construire en Afrique de tels paradigmes. Il doit y avoir des représentations assez puissantes qui puissent figurer comme supports au développement. En ce sens, notre ambition dans cette école des hautes études africaines, c'est de faire en sorte de percer le mystère de ce qui fait que l'homme noir, dans sa relation au monde, devienne non plus quelqu'un qui consomme le monde ou le subit, mais qui le conquiert.

Alors ce paradigme mouride, par exemple, est un paradigme fondamental à élaborer, à systématiser de façon à ce que l'idée de renaissance soit une idée porteuse et portée par une réflexion intelligente et patiente, une réflexion qui soit traduisible en mot d'ordre et en slogan. Ainsi une nouvelle instruction civique devra voir le jour, et c'est seulement sur cette base que la renaissance pourra se faire. ».


mardi 23 août 2016

DAROU SALAM CÉLÈBRE SON HÉROS - Mame Cheikh Anta Mbacké en chiffres et en lettres…

Ckeikh Sidy Moukhtar Mbacké, communément appelé Mame Cheikh Anta, ou l’argentier du Mouridisme est né dans les années 1860 à Porokhane, dans le Saloum (les dates mentionnées varient de 1860 à 1867 selon les sources). Fils de la vertueuse Mame Anta Ndiaye, cousine de Sokhna Diarra Bousso et de Momar Anta Saly, il est le frère cadet d’Ahmadou Bamba.  



SES ÉTUDES 

Il a appris le Coran auprès des maîtres coraniques célèbres de l'époque. Le plus connu parmi eux, pour lui avoir enseigné le plus est Cheikh Abdourahmane LO. C’est auprès de son grand frère Serigne Mor Diarra qu’il a étudié les sciences religieuses avant de rejoindre Cheikh Ahmadou Bamba qu’il ne quittera plus jamais.  

SON ÉDUCATION   

Mame Cheikh Anta voyait en son frère Cheikh Ahmadou Bamba un homme de Dieu, un guide spirituel qui transformait, à courte durée, l’état de ses compagnons et améliorait leurs actes. Il n’avait pas hésité à se soumettre à ses ordres. Il lui vouait une obéissance totale et cherchait à chaque instant à le satisfaire. Il a été parmi les personnes à recevoir directement l’éducation du Cheikh et sa formation. Celui-ci accordait une attention particulière à la formation de son disciple et frère; il le préparait aux tâches importantes qu’il devra assumer par la suite en faveur du mouvement mouride et de ses fidèles. Faisant preuve d’une parfaite disposition à recevoir cette formation, Mame Cheikh Anta était devenu l’un des hommes de confiance du Cheikh et l’un de ses conseillers les plus proches, leurs correspondances en constituent une parfaite illustration.  



MAME CHEIKH, UN HOMME MULTIDIMENSIONNEL  

A l’instar de tous les grands hommes du Mouridisme formés par le Cheikh, Borom Gawaan était un éducateur spirituel ayant sous sa direction plusieurs daaras. Il s'est d'abord employé à démultiplier l'enseignement du Maître. Et dans ce domaine, il s'est montré si efficace que bientôt il reçut l'allégeance d'une foule nombreuse de talibés. Il les organisa en daaras productifs et prospères à l'image de Gawane qu'il fonda en 1905 non loin de la localité de Bambey. Dans ces daaras, ses disciples exerçaient comme activité secondaire une agriculture de grande envergure. Cependant il ne se contentait pas de cette activité traditionnelle qui ne satisfaisait pas ses grandes et nobles ambitions pour plusieurs raisons.  

D’abord, il y avait devant lui ce mouvement naissant dirigé par son frère et guide qui était confronté à d’énormes difficultés et entouré de menaces de la part des ennemis de l’Islam. Les disciples subissaient de graves désagréments. A cela s’ajoutaient les nécessités de la vie quotidienne et les recommandations de l’Islam qui font de l’aide aux nécessiteux une obligation.  

Borom Gawaan ne pouvait avoir la conscience tranquille devant cette situation préoccupante qui nécessitait pour l’atténuer ou pour s’en sortir, l’assurance d’une autonomie financière.  

Après avoir bien analysé la situation, il se lancera dans le domaine de l’investissement; il importait et tissait de vastes relations commerciales avec de grands financiers de son époque. De par ses activités d'opérateur économique, il va acquérir un solide réseau de relations. Mais il n'en a jamais abusé pour obtenir des passe-droits ou des privilèges illégaux. Tout juste s'en est-il servi pour la promotion et la préservation des intérêts de la communauté. Il est à noter que cet homme très au fait de la charia n'a jamais employé de moyens illicites dans ses transactions avec ses partenaires d'affaires. Il deviendra ainsi l’un des plus importants hommes d’affaires du pays. Il possédait des biens, des fonds, un parc automobile impressionnant et plusieurs magasins. Il a été même considéré en 1919 comme l’homme le plus riche du pays. Mais avec une générosité légendaire, Mame Cheikh Anta consacrait tous ses biens au service des musulmans, en général, et des mourides en particulier. C'est en tout cas son exceptionnelle prospérité financière et sa propension à faire le bien autour de lui qui lui valut l'appellation " Borom Dërëm ak Gërëm "  



MAME CHEIKH ANTA ET LA POLITIQUE  

Il s’intéressait aussi à la vie politique du pays. Il observait ses importantes mutations en suivant de très près les informations. Il  a même cherché à avoir une certaine influence sur cette politique en soutenant l’un des acteurs en compétition afin de sauvegarder l’intérêt général et celui des musulmans. C’est ainsi qu’il avait porté son soutien à la candidature de Ngalandou Diouf à la députation au parlement français.  

Sa déportation à Ségou  

Cette attitude de Mame Cheikh Anta durant ces élections lui avait valu la colère de Blaise Diagne, l’adversaire de Ngalandou. Après avoir fomenté de fausses accusations, Blaise avait donné l’ordre de l’interner à Ségou de 1929 à 1935. Dans une déclaration, Serigne Mbacké Bousso a défendu la position de Borom Gawaan en prouvant sa bonne foi et son innocence, en démontrant que son accusation n’était en fait qu’une machination sans aucun fondement.   

En réalité, cette déclaration était davantage un soutien moral et une dénonciation de cet acte odieux qu’une simple preuve de l'innocence de Mame Cheikh Anta. Elle illustre bien par ailleurs, la profondeur des relations entre les deux hommes.  



L’ACTION DE L’HOMME 

Borom Gawaan avait consacré toute sa vie aux œuvres profitables à l’ensemble des musulmans, à la contribution à la prospérité de la communauté mouride et au soulagement des souffrances des fidèles.  

Ayant comme slogan ce verset du Saint Coran « Tout ce que vous dépensez dans la bonne cause, Dieu le saura », Mame Cheikh Anta avait toujours fait preuve d’une générosité légendaire dans les moments difficiles. Ses réalisations sont ainsi innombrables, toutefois, nous tenons à en citer à titre d’exemples quelques unes :  

- lors d’une grave sécheresse, il avait distribué aux sinistrés une quantité de riz estimée à plusieurs milliers de tonnes;  

- il prenait en charge et sauvegardait les infrastructures de la communauté contre les oppresseurs et les agresseurs;  

- il soutenait les petits commerçants en leur accordant beaucoup de facilités sur le plan financier;  

- pour le compte de son maître, il s’acquittait de certaines obligations familiales comme en 1922, où c'est lui qui conduisit la délégation que Khadimou Rassoul envoya à Tivaouane pour présenter ses condoléances lors du rappel à Dieu de Seydi El hadji Malick SY;  

- il intervenait beaucoup auprès des autorités coloniales, tantôt pour recueillir des informations concernant son frère et maître, tantôt pour demender le retour de ce dernier;  

- il a aménagé des routes à Diourbel pour faciliter l’accès des visiteurs à la résidence du Cheikh;  

- il a été le premier à faire imprimer un recueil de poèmes composés par le Cheikh ;  

- il a réalisé l’un des vœux chers du Cheikh en faisant le pèlerinage à la Mecque en compagnie de Serigne Fallou Mbacké et d’autres prédestinés.  

L’HISTOIRE DE SON PÈLERINAGE À LA MECQUE  

Les péripéties de ce voyage sont racontées dans un récit écrit par Serigne Fallou lui-même.  

Le 07 mars 1928, au nom de toute la communauté mouride et notamment à la mémoire de Serigne Touba, Mame Cheikh accomplit le pèlerinage aux Lieux Saints de l'Islam. Cette expédition mémorable fut effectuée en compagnie de Serigne Fallou Mbacké. Egalement de la partie, il y avait Serigne Mbacké Bousso, Serigne Moulaye Bousso, Serigne Tacko Mbacké (second fils de Mame Cheikh Anta). Trois de ses principaux talibés complétaient la délégation. Il s'agit de Serigne Modou Ndiaye Diop, Serigne Ibrahima Dia, Serigne Mayoro Fall.  

Mame Cheikh Anta finança entièrement l'expédition de sa poche, depuis les billets en première classe jusqu'aux provisions consommées durant tout le voyage. Les escales en France, au Caire, comme le séjour en Terre Sainte ont été impressionnantes, tant Mame Cheikh, en aucune fois n'a lésiné sur les dépenses, pour assurer la qualité à ses compagnons d'équipée.  
Des Lieux Saints, il rapporta diverses reliques dont un manuscrit du Coran reconnu parmi l'un des plus anciens qui existe. Il rapporta également les couvertures qui revêtaient les mausolées du Prophète (P.S.L.) et de ses principaux compagnons (que Dieu les comble de bienfaits.) Ces couvertures serviront à recouvrir les mausolées de Khadimou Rassoul et de ses principaux disciples. Mame Cheikh Anta se réserva celle de Seydina Hamza, un oncle et fidèle compagnon du Prophète (P.S.L.), afin que son propre mausolée en soit paré après sa disparition.  



SES RELATIONS AVEC SERIGNE TOUBA ET FAMILLE 

Borom Gawaan entretenait d’excellentes relations aussi bien avec le Cheikh et ses proches qu’avec les autres.  

Les profondes et exceptionnelles relations spirituelles qui le liaient à son frère et maître depuis sa tendre enfance se sont renforcées au fil des années. Fidèle entre les fidèles, Mame Cheikh Anta a été l'une des rares personnes à avoir rendu visite à Serigne Touba dans son exil gabonais (il l'a trouvé à Lambaréné). De ce voyage mémorable, il a rapporté des écrits du Cheikh qu’il imprima par la suite. Il a également rapporté des directives destinées à Mame Thierno Ibra Faty qui avait en charge les destinées de la communauté en l'absence du Maître. Il a surtout rapporté aux talibés la certitude que le Maître était bien vivant et qu'il allait revenir parmi les siens, contrairement aux informations distillées par l'autorité coloniale dans le but de les démoraliser.  

Quant à ses liens avec ses proches et les autres figures du mouridisme, ils étaient bien connus : il jouisssait du respect et de l’amitié de tous sans exception aucune. Toutefois, l’amitié qui le liait à Serigne Mbacké Bousso et à Cheikh Mouhammad Fadel était singulière. Profondément touchés par sa déportation à Ségou, chacun lui avait témoigné son soutien ; l’un par écrit et l’autre par une visite qu’il lui a rendue à Ségou et au cours de laquelle il lui a prédit la fin des épreuves et son retour imminent à son pays.  

Par ailleurs Mame Cheikh Anta avait tissé de vastes et bonnes relations avec le monde extérieur en raison de ses activités commerciales.  

En somme, la vie de cette personnalité témoigne d’une ferme et sincère détermination, d’une vision extraordinaire et d’un dévouement inégalable au service du Cheikh, de ses disciples et de l’ensemble des musulmans.  

L’importance et la portée de ses positions nous rappellent en effet le troisième khalife de l’Islam Sayyidina Ousmane ibn Affan que Dieu l’agrée de ses largesses.  

Le fait que Cheikhoul Khadim lui ait confié Darou Salam, son premier village, et lui ait réservé l’honneur de sa réception à son retour d’éxil au Gabon illustrent parfaitement sa confiance et son estime pour son frère et disciple Cheikh Anta. Ces festivités, demeurées mémorables, sont chaque année commémorées dans la ferveur et l'enthousiasme. C'est le fameux Magal de Darou Salam qu'on peut considérer comme le premier magal organisé par la communauté mouride.  

Borom Gawaan a été rappelé à Dieu en mai 1941 à Darou Salam où se trouve son mausolée.  



SES KHALIFES  

L’œuvre de Mame Cheikh Anta a été perpétuée par des Khalifes qui ont pour caractère commun leur intransigeance contre les appâts des mondanités, leur rejet de la compromission avec le pouvoir temporel et le caractère tranchant de leur discours qui rejette tout ce qui n’est pas l’Islam et le service de Serigne Touba. Ainsi, se sont tour à tour distingués :  

Serigne Modou Mamoune Mbacké (1941 -1969), celui-là même que Serigne Touba a dépeint comme un homme exempt de péché.  

Serigne Tacko Mbacké (1969 -1975) qui avait accompagné son père dans son pèlerinage à La Mecque. Les anciens s’accordent sur sa ressemblance caractérielle avec Mame Cheikh Anta Mbacké, même générosité discrète, même jovialité conviviale.  

Serigne Ibra Mbacké « Ndar » (1975 -1987), ainsi appelé à cause de ses origines saint-louisiennes. Il a laissé le souvenir d’un homme d’ouverture qui a allié l’exercice du Khalifat de Mame Momar Anta Sally et celui de Borom Gawane. Avec lui, Darou Salam s’est adjugé le record des contributions à l’œuvre de Serigne Touba.  

Serigne Samme Mbacké (1987 -1998) connu pour sa haute élévation morale et spirituelle. Il a réfectionné et embelli le mausolée de Borom Gawane et assuré l’extension de Darou Salam. On garde de lui le souvenir d’un homme généreux, désintéressé et hospitalier.  

Serigne Moustapha Thieytou Mbacké (1998-2001) était un érudit doublé d’un travailleur infatigable. C’était la discrétion faite homme. Comme Serigne Saliou, il était ennemi du paraître et des mondanités. Il s’investissait à fond dans les projets porteurs de progrès pour la communauté. D’ailleurs, il était très en phase avec Serigne Saliou dont il partageait les vues et ambitions pour le mouridisme.  

Serigne Hamidoun Mbacké (2001-2009) fils de Soxna Mbacké bintou Mame Mor Diarra Mbacké, grand frère de Serigne Touba et de Serigne Modou Mamoune Mbacké, fils aîné de Mame Cheikh Anta Mbacké, il a assuré le Khalifat de son père 13 ans durant et celui de son grand-père pendant 8 ans. L’histoire retiendra que c’est lui qui a ouvert le Khalifat des petits-fils à Darou Salam. Rappelé à DIEU le soir du dimanche 22 février 2009, c’est Serigne Mame Mor Mbacké, fils de Serigne Tacko qui lui a succédé.  
 
 
Le magal célébré ce 23 août 2016, commémore la rencontre entre Mame Cheikh Anta Mbacké et Serigne Touba lors du retour d'exil de celui-ci...

mercredi 10 août 2016

10 Août 1895 : Cheikh Ahmadou Bamba, de Mbacké Mbari au Gabon

La communauté Mouride célèbre ce mercredi 10 Août le Magal de Mbacké Baari commémorant le départ en exil de Cheikh Ahmadou BAMBA Khâdimou Rassoul.

Suite aux campagnes calomnieuses à l’endroit de Cheikh Ahmadou BAMBA, le Commandant LECLERC, Administrateur du Cercle de Saint-Louis, avait adressé en juillet 1895 une alarmante correspondance à ses supérieurs. Le Gouverneur Général par intérim du Sénégal et Dépendances, M. MOUTTET, expédia alors à Mbacké-Bâri une lettre de convocation au Cheikh qui, empêché, se contenta de déléguer son frère et bras droit Mame Thierno Birahim au dit Gouverneur qui interpréta ce geste comme un affront et un défi à son autorité. 

Ainsi l’Administrateur LECLERC fut-il chargé, à la tête d’une importante troupe composée essentiellement de gardes et de cavaliers dirigés par des chefs indigènes, de s’acheminer vers Mbacké-Bâri aux fins de contraindre par la force le Saint homme à se rendre à ladite convocation. Informé, Cheikh Ahmadou BAMBA dut mander une seconde fois le Cheikh Ibrahim dans le but de dissiper le malentendu. Mais face à la détermination d’en découdre qu’afficha l’Administrateur, l’émissaire du cheikh dut informer celui-ci de l’échec de sa mission ; ce à quoi, Cheikh Ahmadou BAMBA, devinant la trame de la Volonté Transcendante, qui seule pouvait présider à ces événements, confia les siens à la Grâce de DIEU et partit à la rencontre de ses ennemis. 

C’est ainsi qu’il retrouva le plénipotentiaire du Gouverneur dans la localité de Jéwol dans l’après-midi du samedi 10 août 1895. Ce jour de 18 du mois de safar 1313 de l’Hégire constituera, plus tard, celui de la célébration du grand Magal de Touba, car cette épreuve préfigurait déjà aux yeux du Cheikh le Succès et les Avantages Inestimables que le TOUT-PUISSANT Dissimulait dans le Service qu’il comptait effectuer pour le Meilleur des humains (PSL). 

Ayant ainsi passé la nuit à Jéwol, le saint homme reprit, en bonne escorte, son périple le matin du dimanche, fit une escale dans le village de Kokki d’où il s’achemina de nuit vers Louga. De cette localité, il prit, le lundi 12 août, le train pour Saint-Louis qu’il atteignit au crépuscule et où il restera pendant les 10 jours restants du mois de safar et presque tout le mois de Rabi’u-l-Awwal. 

Le Serviteur du Prophète aura à subir sur cette île nombre d’épreuves de la part de ses persécuteurs dont la plus injuste restera sans doute la décision de l’exiler vers les contrées hostiles de l’Afrique Equatoriale. Mais ceux-là qui le bannirent et tentèrent de l’avilir à jamais ne savaient certes pas que le TOUT-PUISSANT s’était LUI-MÊME Prescrit, de toute éternité, le Devoir de Secourir Ses Amis ; et où qu’ils puissent se trouver... 

Le Conseil Privé de Saint-Louis (5 septembre 1895) 

Après son arrestation à Jéwol, le Cheikh Ahmadou BAMBA restera à Saint-Louis jusqu’au jeudi 5 septembre 1895, date à laquelle le Conseil Privé, composé de dix membres réunis dans la salle ordinaire de ses délibérations, décida son internement au Gabon. 

L’Histoire a surtout retenu de ce jour la tempérance du Cheikh dans sa défense contre les chefs d’accusation qui lui furent exposés mais surtout le coeur qu’il eut de parapher au bas du document qui lui fut tendu la sourate Ikhlâs , symbole de l’Unicité Absolue de DIEU comme négation de la Trinité, en guise de signature, mais surtout celui d’effectuer deux rakkas devenues célèbres sur le lieu même de ladite séance. 

Une coïncidence significative fut que ces événements eurent, non seulement, lieu au cours du mois de la Naissance du Prophète (PSL), mois de Rabi’u-l-Awwal ("Gamou") que vénérait particulièrement le Cheikh, mais le Conseil Privé fut tenu le jour de 14 de ce mois qui correspond au surlendemain de l’Anniversaire de la Naissance du Prophète (PSL) pour le Service duquel le Voyage est censé être fait. 

En effet le dernier Messager de DIEU (PSL) est, selon l’hagiographie musulmane, né la nuit du 12 du mois de "Gamou" et a aussi émigré à Médine un jour de 12 du mois de "Gamou". La coïncidence étonnante sera donc que son Serviteur sera aussi appelé à exiler et à entamer le Service qu’il lui destinait au surlendemain de ce jour calendaire correspondant à l’Hégire de son Maître (PSL) ayant eu à subir la même épreuve dans des conditions étrangement similaires relatées par le Coran : "Rappelle-toi lorsque les infidèles complotaient contre toi afin de t’emprisonner ou te tuer ou t’expulser ; ils complotaient alors que DIEU cernait leur plan" (8:30) 

Au cours de son séjour à Saint-Louis Cheikh Ahmadou BAMBA fut l’objet de la sollicitude de nombre de grandes figures musulmanes dont certaines l’exhortèrent vivement à interjeter appel de l’injuste décision ; éventualité à laquelle il ne daigna jamais souscrire car, disait-il : " Je me suffis de DIEU en dehors des roitelets et de Muhammad en dehors de tout autre intermédiaire". 

C’est ainsi que le Serviteur du Prophète fut contraint de quitter l’île de Saint-Louis, le matin du jeudi 19 septembre 1895, correspondant à l’avant-dernier jour du mois de Rabi’u-l-Awwal, pour s’acheminer par chemin de fer vers la ville de Dakar où l’attendaient d’autres péripéties... 

L’Exil au Gabon (1895-1902) 

Une fois prise, à l’issue de la séance historique du Conseil Privé de Saint-Louis, la décision de l’interner au Gabon, Cheikh Ahmadou BAMBA fut transféré à Dakar où il parvint au soir du jeudi 19 septembre 1895.

Installé chez un indigène du nom de Ibra Binta GUEYE, le Cheikh, alors à jeun, se vit aussitôt convoqué par le Gouverneur de Dakar dont le courroux, se déversant sur lui, l’obligea à passer la nuit dans une cellule infecte dont l’inhospitalité marqua si fortement le Cheikh qu’il écrivit plus tard : "Lorsque je songe à ce qui fut décidé, à ce Gouverneur et à ce cachot, me prend aussitôt l’envie de combattre par les armes ; mais Celui qui éfface les péchés [le Prophète] m’en dissuade... " 
Cheikh Ahmadou BAMBA embarqua finalement le samedi 21 septembre 1895 à bord du paquebot "Ville de Pernambouc" sur lequel il aura à affronter d’autres épreuves dont : l’hostilité affichée de l’équipage, la ruée d’un taureau déchaîné vers sa sainte personne et dont il fut miraculeusement préservé etc. 

Une fois aux îles, le Cheikh, selon ses propres dires mêmes, fut sujet à toutes sortes d’exactions et de brimades, et cela tout au long de ses séjours successifs dans la jungle de Mayumba, à Lambaréné et ailleurs. 

La moiteur, le grand nombre de maladies tropicales mais surtout la solitude caractérisant ces lieux firent aussi de ces années les plus éprouvantes de l’existence du Cheikh, isolement perceptible dans nombre de ses écrits où il exprime avec humilité tout son attachement, sa confiance et sa reconnaissance au TRES-MAJESTUEUX de même que sa résolution inébranlable à rester "l’esclave de DIEU et le Serviteur du Prophète (PSL) à demeure". 

N’ayant pour témoins que les éléments, il eut cette poignante profession : "O Océan de Mayumba ! témoigne que je suis l’esclave de [DIEU], Celui qui pardonne les péchés, et que je demeure le Serviteur du [Prophète] Elu ! Témoigne, qu’en tant qu’ami intime du [Prophète], celui qui comble d’honneurs ses amis, je rejette toute forme d’association à DIEU et n’adore que Lui seul !" 

Ces épreuves et d’autres privations que s’infligeait volontairement le Cheikh pour la FACE de DIEU eurent quelques fois pour spectateurs les habitants primitifs de ces contrées ou des indigènes originaires du Sénégal dont certains eurent à lui manifester leur estime ou même à lui faire allégeance. Le Cheikh aura aussi à faire la rencontre, durant l’Exil, de nombre de personnalités marquantes de cette époque, telles le futur premier député d’Afrique Noire Blaise DIAGNE, alors fonctionnaire des Douanes, son disciple et frère Mame Cheikh Anta MBACKE qui avait entreprit le périlleux voyage au Gabon. 

Le Cheikh eut de même à entretenir une correspondance avec l’illustre résistant guinéen, l’Almamy Samory TOURE, déporté depuis 1899 à Njolé, au Gabon, où il trouvera d’ailleurs la mort le 2 juin 1900. Il est rapporté que le Cheikh effectua, lorsqu’il apprit la nouvelle, la prière des morts à son intention depuis Lambaréné, conformément à la Sunna Prophétique . L’ex-Bourba Jolof Samba Laobé Penda, exilé cinq mois après le Cheikh en raison, pour partie, des relations le liant à celui-ci, eut aussi à le retrouver au Gabon. 

Cette période fut également marquée par l’abondance des Dons Mystiques Incommensurables procédant de DIEU, Faveurs Insignes se traduisant par une Elévation à des degrés spirituels inouïs et inédits que démontre la profusion littéraire des années dites " maritimes" ; richesse le rangeant de facto parmi les auteurs les plus prolifiques, sinon le plus prolifique, du monde musulman. Ainsi aura t-il à répondre beaucoup plus tard à son fils Cheikh Muhammad-al-Bachir MBACKE qui le questionna un jour sur cette époque : "[Au cours de cet exil] ma connaissance gnostique s’est accrue, mon arrivée à DIEU (wusûl) s’est confirmée, ma certitude a atteint de nouveaux degrés et j’ai obtenu des Grâces Infinies"... 

Au cours de cette période la jeune communauté mouride eut à affronter l’une des premières épreuves les plus pénibles de son histoire car, la déportation de son guide ayant entamé l’engagement de certains, il y eurent des désaffections contrastant singulièrement avec le regain d’assurance et de triomphalisme de leurs adversaires qui, excès d’acharnement et de cruauté, n’hésitaient pas à distiller des rumeurs sur la disparition de Cheikh Ahmadou BAMBA. 

Mais regroupés autour de leurs principaux cheikhs désignés par Khadimou Rassoul à son départ : Mame Thierno Birahim assumant la direction des enseignements, Cheikh Ahmadou NDOUMBE préposé à la supervision des travaux champêtres, Cheikh Ibrahima FALL et d’autres figures emblématiques de la Muridiyah, les adeptes réussirent à préserver intacte leur foi en l’Inéluctabilité du Secours Divin et au triomphe de la Vérité sur l’erreur. 

Par ailleurs les efforts que ne cessa de consentir le Cheikh Ibrahima FALL, resté à Saint-Louis, réussirent à convaincre le futur député CARPOT entre autres de la parfaite innocence de Cheikh Ahmadou BAMBA au point qu’il s’engagea à réhabiliter celui-ci à son élection. La chose faite, le Serviteur du Prophète put, par la Grâce de DIEU et Sa Volonté Bienveillante, rentrer au Sénégal le mardi 11 novembre 1902 à bord du navire "Ville de Maceïo", après un peu moins de huit années exil. 

L’on peut aisément imaginer l’extraordinaire effervescence qui accueillit au port de Dakar, puis dans le reste du pays le retour de "celui qui est revenu des contrées d’où l’on ne revient pas", grâce à la Seule Puissance de DIEU, qui n’a point, encore une fois, manqué à Sa Promesse de "secourir les Croyants"...

mercredi 27 juillet 2016

Il était une fois, Cheikh Abdoul Ahad Mbacké, le Bâtisseur, Par Ibrahima NGOM

La communauté mouride va célébrer le Magal dédié au troisième  Khalife Général des Mourides, Cheikh Abdoul Ahad Mbacké. Né en 1914 à Diourbel, celui qu’on appelait, affectueusement, «Baye Lahad» est le fils du Fondateur du Mouridisme, Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul et de la Sainte Sokhna Mariama Diakhaté. Cette dernière est de l’illustre famille des «Ndiakhaté» connue pour son attachement viscéral à la culture islamique.

«Baye Lahad» est le frère utérin (de même mère) de Serigne Abo Madyana Mbacké, appelé couramment, Serigne Souhaibou Mbacké. Leur mère, Sokhna Mariama Diakhaté est aussi la sœur de  la Vénérée Sokhna Fat Diakhaté, mère de Serigne Saliou Mbacké Ibn Khadimou Rassoul, 5ème Khalife Général des Mourides (1990-2007).

 L’historiographie mouride nous apprend qu’il a fait ses humanités auprès de son oncle maternel, le grand érudit Cheikh Alassane Diakhaté,  en compagnie de ses frères  Serigne Saliou et de Serigne Souhaibou. Ainsi, cet évènement qui a vu converger, ce jour,  bien de talibés mourides vers Touba-La-Pieuse,  célèbre l’anniversaire de sa naissance.

Ce fut en 1968 que Cheikh Abdoul Ahad hérita du Khalifat de son illustre père, Serigne Touba,  à la suite du rappel à Dieu de son frère et très complice, Cheikh Mouhamadou Fadilou Mbacké dit Serigne Fallou. Installé au trône, il s’évertua à poursuivre l’immense œuvre entamée par «Borom Ndindy». Il procéda alors à l’agrandissement de la Grande Mosquée de Touba. La modernisation de la Ville Sainte porte également son empreinte: adduction d’eau (18 forages), assainissement, électrification, construction de routes, autoroutes, rocades,  dotation d’un poste de Police, hôpital, centres et cases  de santé.

La vivification des enseignements du Cheikh était inscrite au devant des priorités du successeur de Serigne Fallou. Il y construit une grande université islamique et y  implanta une grande Bibliothèque «Khadimou Rassoul», appelée «Daaray Kamil», en 1977. Cheikh Abdou Ahad  ne badinait nullement sur les préceptes de la foi islamique. Ainsi, il  n’avait de cesse de s’adonner  à l’assainissement des mœurs dans la Cité religieuse: bannissement de la cigarette, jeux de fortunes, drogue etc. Le Saint Homme était aussi un grand agriculteur devant l’éternel.

«Baye Lahad» était décrit comme un homme très véridique; ce qui lui a valu le sobriquet de «Gnaak Jaakhaan» (qui ne badine pas sur les principes !) Pour dire, il était un homme  de son époque. Il gardait de bonnes relations avec toute la famille de Borom Touba, les «Cheikh», ses contemporains des autres confréries, voire  toute la «Oumah Islamique».
C’est dans la nuit du 19 Juin 1989 que Cheikh Abdou Lahad Mbacké s’est éteint dans son village agricole de Touba Bélel, situé à l’Est de Touba, laissant orpheline toute une communauté. Il fut succédé au Khalifa des Mourides par Cheikh Abdoul khadre Mbacké Ibn Khadimou Rassoul. Depuis, c’est son fils aîné, Serigne Sidy Mbacké Abdoul Ahad qui veille sur l’héritage familial. Yala Nafi Yag Té Wér ! Amen !!!

Ibrahima NGOM Damel,
Journaliste

samedi 2 juillet 2016

Il était une foi : Serigne Sam Mbaye, trajectoire d’un parfait érudit

Islamologue et conférencier émérite, Serigne Sam Mbaye a consacré sa vie à la recherche du savoir et au rayonnement de l’Islam. Un sacerdoce qui lui vaut aujourd’hui d’être reconnu comme l’un des plus grands islamologues de son temps. Sinon le plus grand.
Jamais il ne fut plus écouté que lorsqu’il s’est tu. Parti le 15 mars 1998, Serigne Sam Mbaye récolte de plus en plus une audience chez des jeunes nés peu avant ou bien après sa mort et qui redécouvrent les enseignements de celui qui passait, à son époque, pour n’être qu’un parmi de multiples prédicateurs. Pas moins de deux pages officielles sur Internet. Plus de 16000 vidéos disponibles sur Youtube, dont les vues culminent entre 10.000 et 200.000. Toute une collection audio de ses 842 conférences à la bibliothèque universitaire de Dakar. Et un nombre incalculable d’auditeurs qui se comptent autant dans les confréries religieuses que dans un milieu académique plus ouvert au discours cartésien, où les sciences islamiques sont dispensées avec un art consommé de l’argumentation. Le tout pour le rayonnement de l’Islam. C’est tout cela Serigne Sam. Une vie au service de Dieu. De son Prophète. De ses Saints. Serigne Sam, c’est aussi une voie différente de ses contemporains et qui aujourd’hui, parle aux oreilles les plus réfractaires aux créations ex-nihilo. Parce que d’abord, lui ne sort pas de nulle part. Son statut n’est pas hérité et son savoir est loin d’être le fruit subliminal d’une ascendance vertueuse. Mame Mor Diarra Mbaye, ainsi que l’a nommé son père, est de l’ancienne école. Doublement.
Lorsqu’il entame l’apprentissage du français, il est déjà adulte et a fait le tour de l’école coranique. Coki pour la mémorisation, Saint-Louis du Sénégal pour la théologie et le droit islamique et la Tunisie pour les exégèses, les traditions orientales et le perfectionnement de la langue arabe. Serigne Ibrahima Mbaye, 50 ans, deuxième de ses fils, lève un pan de l’histoire sur ce séjour. «Mon père arrive en Tunisie en pleine année scolaire, on lui refuse une place, parce que la salle est pleine, il supplie pour suivre les cours à partir de la fenêtre. Subjugué par sa motivation, sa discipline et son intelligence, le professeur finit par lui aménager une place à ses côtés». Serigne Sam ne passe son brevet et son baccalauréat que lorsqu’il rentre de son séjour tunisien. A Saint-Louis où il est auditeur libre, les instituteurs qui l’initient à la langue de Molière rient de sa prononciation. A l’approche de l’examen, c’est pourtant lui qui se substitue à eux pour leur apprendre les techniques de la dissertation. Le gouvernement sénégalais ne s’y trompe pas, en le recrutant en qualité de moniteur de français. Le baccalauréat l’envoie à Dakar, à la Faculté de Lettres, où il obtint tour à tour la licence, la maîtrise, le doctorat de premier cycle. Baye Sam écrit même sa thèse de troisième cycle, mais sans jamais réussir à obtenir une date de soutenance. «Problème de jurés», tente d’expliquer d’une voix dubitative, Kabir Mbaye, professeur de Lettres qui a étudié l’homme sous toutes les coutures. Et ce qui en ressort, c’est qu’au-delà de tout projet de vie, le prédicateur n’avait pas soif de réussite, mais de savoir. A la fin de sa vie, il ne lisait plus que des livres en anglais. La légende dit qu’il est né avec cette inclination, qu’elle n’a fait qu’amplifier avec le temps et qu’au moment de recueillir les bénédictions et prières de son illustre paternel, il choisit la modestie de l’érudition, alors que son jeune frère, El Hadj Djily Mbaye, prit le faste de la richesse. L’Apparent et le Caché. Deux faces d’une même pièce façonnée par Mame Cheikh Mbaye, un grand soufi dont la tradition orale rapporte les dons et miracles.
Le père, ce trésor du Très-Haut.
Louga, à 186 km de Dakar, quartier Santhiaba nord. Une énorme concession tient lieu d’habitations pour la famille de Mame Cheikh Mbaye. L’endroit est fait comme les concessions léboues. A chaque descendant sa portion de terre, ce qui n’empêche pas toute la famille de partager les lieux communs. Au fond de la maison, une bâtisse plus moderne que les autres tient lieu de logement de fonction pour le calife de la famille. En face, un petit carré de sable fin est protégé par un mur blanc. C’est là que pour la première fois, Mame Cheikh Mbaye reçut la bénédiction divine pour sa mission. C’est ici que naquit Mame Mor Diarra Mbaye, d’un père réputé pour son érudition et sa vertu religieuse. Mame Cheikh Mbaye est l’océan dans lequel s’est abreuvé le fils. Originaire de Boukoul près de Coki, l’homme, raconte-t-on, manifeste les signes de l’érudition dès le berceau. Serigne Ibrahima, son petit-fils : «Il fut rapporté que jamais sa mère ne put l’emmener hors de la maison sans qu’il ne se mette à pleurer. Il fallait le mettre à l’abri du ciel pour calmer ses crises. A l’âge adulte, il apporta lui-même l’explication à ce comportement. Il disait ainsi apercevoir tous les habitants du ciel». Un début d’explication à ses habitudes d’enfant qui ne mettait jamais le bout du nez dehors sans son châle sur la tête. Un comportement qui trouve aussi son explication avec l’intéressé lui-même. «Il m’était interdit de sortir sans me couvrir la tête». Par qui ? Sourire en coin de Serigne Ibrahima et réponse qui dépasse l’entendement. «Mame Cheikh recevait directement ses ordres de son Créateur». Sur terre, l’érudit se forge une réputation qui dépasse les frontières de Pété où il habite et arrive aux oreilles d’un certain Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul. Ce dernier qui fait une tournée des saints hommes de la région, fait une étape à Pété pour le voir. Ils se rencontrent à la sortie de la ville, discutent et promettent de se retrouver. Serigne Touba met du temps à revenir à Pété, Mame Cheikh, impatient, part chercher le savoir dans le Walo chez Seydi El Hadj Malick Sy. Son apprentissage est très avancé lorsque Serigne Touba revint le chercher. «Il fut dit qu’on accueillit le saint homme avec un plat de bouillie de mil. Après y avoir jeté un coup d’œil, il le repoussa au loin. Ce fut le premier enseignement que Mame Cheikh perçut de Serigne Touba, qui lui dit. «J’ai ouvert, regardé et repoussé le plat, pour inciter mon âme et mieux lui interdire les passions de ce bas-monde»», rapporte Serigne Ibrahima. Son grand-père reste quatre ans à Mbacké Kadior à profiter des enseignements en théologie et grammaire de Khadimou Rassoul, avant de retourner à l’école de El Hadj Malick Sy. Mais il ne tarde pas non plus à quitter le saint homme pour les enseignements de Mame Ass Camara, le représentant de Cheikh Saad Bou à Saint-Louis, lieu de convergence de la communauté arabe à l’époque. Il y reçoit le titre de Caadi (juge) et est affecté à Yang Yang à la cour de Alboury dans le Djoloff. Au terme de ses pérégrinations, Mame Cheikh Mbaye finit par s’établir à Welingara Tall à 5km du tribunal de Louga où il exerce ses talents dans la jurisprudence musulmane et conforte définitivement sa place de choix aux côtés du Seigneur. Son petit-fils dit qu’il était du niveau des prophètes, sans en avoir le grade. «La prophétie est une nomination et Mame Cheikh est arrivé au moment où elle avait été close par le Sceau des prophètes», dit-il. Et pourtant, même avec cette station, il est resté à l’ombre d’autres grands hommes qui ont marqué durablement leur époque. Là aussi, l’explication est toute simple. A en croire la famille, le père de Serigne Sam faisait partie des trésors cachés du Très-Haut. «Il jouissait de beaucoup de respect de la part de ses contemporains, mais lui a toujours préféré se détourner des honneurs qu’on lui faisait pour ne pas trahir le pacte qui le liait à son Seigneur. Celui de demeurer caché». L’Apparent dans la famille, c’est la descendance. D’abord, Serigne Ahmadou Sakhir Lô, son fils spirituel et fondateur du daara de Coki. Ensuite, El Hadj Djily Mbaye, le marabout milliardaire et enfin, Serigne Sam, dont l’universalisme fait voyager ses enseignements à travers le temps.
Propriété privé des Mourides.
Serigne Sam s’est toujours targué d’être universel. On le serait à moins avec son pedigree. Son père a appris à combattre ses passions entre les mains du précurseur du Mouridisme. Sidy El Hadj Malick, chantre du Tijanisme au Sénégal, lui parfait son apprentissage de la grammaire arabe. Mame Ass Camara, représentant de Cheikh Saad Bou, lui inculque l’astrologie. Un héritage que Serigne Sam a conforté avec un parcours académique et coranique diversifié, qui lui permet de transcender les tarikhas et autres cloisonnements religieux. Et pourtant, la plupart de ses admirateurs classent l’islamologue du côté des Mourides. A tort, mais avec quelques raisons. D’abord parce que Serigne Touba et son père avaient la même ascendance. Deuxièmement parce que le dernier est passé entre les mains du premier dans un même itinéraire spirituel. Troisièmement, parce qu’il fut baptisé Mame Mor Diarra, le frère utérin de Serigne Touba et fondateur du village de Sam (d’où le nom de Serigne Sam). Et enfin, parce que – et c’est là peut-être la principale raison – Serigne Sam a été un peu poussé au métier de conférencier par les mourides, qui l’ont découvert lors de la présentation de sa thèse de doctorat.
Retour à Dakar à l’université Cheikh Anta Diop. Serigne Sam est déjà en âge avancé et parfaitement inséré dans le milieu professionnel lorsqu’il décide d’approfondir ses connaissances en français. Il s’inscrit à la Faculté des Lettres et Sciences humaines, où il obtient une licence en arabe et en Lettres option grammaire linguistique. En octobre 1973, il soutient son mémoire de maîtrise sur «L’influence de Al-Muhasidi sur Al-Ghazali». Mais le tournant arrive avec sa thèse, qui décortique le «Massalikal jinaan (Les itinéraires du Paradis) de Cheikh Ahmadou Bamba. «Massalikal jinaan» est le livre fondateur du mouridisme et la quintessence de tout ce qui a été fait sur le soufisme. La maîtrise qu’a Serigne Sam des langues arabes et du français lui permet d’en faire une brillante traduction, éditée quelque temps après par Serigne Abdou Lahad, le troisième khalife de Serigne Touba. Pourtant à l’université de Dakar, impossible de trouver une trace de ses écrits à la bibliothèque du département Arabe et à la Faculté des Lettres. Il faut, redirigé par le professeur Dieng du département de Lettres modernes, contacter le professeur Kabir Mbaye pour avoir une idée des travaux académiques et de la ferveur déchaînée par le génie de Serigne Sam Mbaye. «Nous autres universitaires, sommes charmés de lire ses traductions», dit le professeur Mbaye de l’illustre étudiant, découvert ainsi par les Mourides, qui en feront une propriété privée et une priorité dans leurs conférences. En 1979, la journée culturelle de Serigne Touba est célébrée par l’Unesco à Paris. Serigne Sam est à la tribune pour vulgariser le «Soufisme de Cheikh Ahmadou Bamba». «Waouh ! Il faut l’écouter», s’émerveille encore son fils. Plus d’une heure de tribune en français, où l’érudit confronte son savoir à ceux d’autres universitaires et finit par rallier tout le monde à sa cause dans le débat académique et religieux. Les Mourides ne le lâchent plus et Serigne Sam le leur rend bien. Il oriente quelques-unes de ses études sur Cheikh Ahmadou Bamba. «Cela n’empêche qu’il étudiait tous les saints et pouvait rester des heures à disserter sur eux. Une fois, nous avons reçu une délégation de la famille Tall à la maison, mon père a tellement disserté sur El Hadj Omar qu’ils étaient au bord de la transe», dit son fils en riant. Serigne Ibrahima Mbaye rit moins de voir le nom de son père sali par un certain Moustapha Mbaye, qui profite de l’aura de Serigne Sam pour se faire de l’argent. Ce qui n’a jamais fait partie des visées de l’islamologue. Dans une de ses conférences données à la Sicap, on l’entend clairement mettre les choses au point. «J’aime et respecte tous les hommes de Dieu. Je vulgariserai tout le bien que je sais d’eux». Une humilité et une générosité dans le partage qui ne sont pas sans rappeler celles légendaires de son frère Djily, de 5 ans son cadet.
A la vie, à la mort
Discret en public sur ses affinités avec Djily Mbaye, Baye Sam ne cachait pas son affection pour son frère. Qui le lui rendait bien. A Louga près du tribunal, le milliardaire a fait ériger sur des hectares, une mosquée attifée d’une bibliothèque et d’un grand appartement. Désert, l’appartement a été témoin des derniers jours de Serigne Sam, pour qui son frère l’a fait construire. Au moment de mettre sur pied la bibliothèque de la mosquée, Djily Mbaye a demandé à Serigne Sam de lui fournir une liste des ouvrages à acheter. Des livres qui ornent toujours les deux niveaux d’une bibliothèque qui emprunte son architecture aux bâtiments orientaux. Une complicité qui remonte à leurs premiers pas dans la vie. Serigne Ibrahima : «Mon père était plus âgé de 5 ans, mais lorsque fut venu le moment de l’envoyer à Coki, Djily a insisté et obtenu de son père de l’accompagner. Plus tard, mon père nous racontait que lorsqu’il est rentré de la Tunisie, son petit frère n’avait cesse de lui demander qu’il troque toutes ses affaires dans ses valises contre les siennes». Un amour fraternel qui s’est consolidé au fil du temps et même au-delà. Dans le majestueux «Palais» de Djily Mbaye à Louga où le temps semble suspendu, Baye Sam Mbaye repose aux côtés de son frère dans un mausolée digne des grands marabouts, à l’abri de la chaleur, sous les ombres fraîches des nombreux arbres qui ornent la résidence, et sous la surveillance continuelle d’un gardien qui ce jour-là, lit le «Huqqa-l-bukau» de Bamba. «Faut-il pleurer les nobles morts ?»
AICHA FALL THIAM (ENVOYEE SPECIALE A LOUGA)

jeudi 30 juin 2016

SERIGNE TOUBA FACE AU RACISME ET AU COMPLEXE D'INFÉRIORITÉ [Par A. Aziz Mbacké Majalis]

En digne revivificateur africain et guide religieux éclairé, s'étant engagé à conscientiser et à émanciper son peuple, Cheikh Ahmadou Bamba (1853-1927) dénonça vivement les processus d’acculturation de ses concitoyens « indigènes » initiés par les colonisateurs et leurs dérives. De même que le vide spirituel et le complexe d’infériorité que les « maîtres blancs » cultivaient en leurs « sujets noirs ». C'est ainsi qu'il écrivit, dans un de ses ouvrages dénommé Ilhâmu Salâm (Inspiration procédant du Seigneur qui assure la Paix), ces vers d'une rare puissance et d'une brûlante actualité pour tous les Africains attachés à l'émancipation intellectuelle et culturelle de leurs peuples anciennement colonisés...
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« [Sachez que les colons ont été égarés par] Satan qui les a menés vers la désobéissance, l’audace et la perdition.
Il les a leurrés de par son stratagème au point qu'ils se sont mis à parcourir, avec insolence, le monde entier et à opprimer [les peuples].
Cependant ceux [d'entre les indigènes] qui ne suivent que leurs passions et les ignorants en sont arrivés à penser qu'ils sont d'un genre supérieur et dotés d'une 
suprématie naturelle. (…)

Ceux-là qui ne réfléchissent point et sont empêtrés dans l’illusion les tiennent pour honorables et illustres.
Aussi les imitent-ils dans la débauche et le vol, de même que dans des habitudes immorales autres que celles-ci.

De par la crainte que [ces colons] leur inspirent, certains d'entre ces colonisés en sont même arrivés à oublier [Dieu], le Majestueux, et Son Prophète.
Ce faisant, finissent-ils par délaisser l'observance du culte [dû au Seigneur] et par confier entièrement leurs destins aux mains de ces rebelles.
...Dans leur méconnaissance que l'ensemble des destins relève exclusivement de la Volonté du Seigneur Miséricordieux, le Maître Absolu de la Puissance (…)
Ils sont désormais convaincus que la Force et la Puissance en actes (hawla wa-l-Quwata) leur sont entièrement dévolues, au même titre que le Pouvoir.

Alors qu'en réalité la Force et la Puissance reviennent exclusivement au Créateur des Cieux, notre Seigneur, le Novateur.
Mais leurs passions et leur nature insouciante ont poussés [ces colonisés] vers la lâcheté et 
l'égarement. (…)

Il en est même qui, à la vue de ces colons, les rangent littéralement parmi les Anges du Miséricordieux!

Ô vous les miens, réveillez-vous de l'ivresse du sommeil ! Et n'assimilez plus l'enflure purulente de la pustule à de l’embonpoint, car une telle méprise demeure un signe manifeste d'ignorance...». 
(Ilhâmu Salâm, v. 13-15, 17-21, 38-40, 48, 51-52)

Cheikh A. Bamba critiqua également certaines conceptions culturelles et idéologiques de son temps qui semblaient admettre une tacite suprématie intellectuelle et religieuse aux autres races et civilisations (surtout occidentale et arabe ; ce qui constituait, en un sens, une autre forme d’inhibition par rapport à l’Espace). En précisant par exemple dans le préambule de son ouvrage maître Masâlikul Jinân (Itinéraires du Paradis) :
« Ne mésestime surtout pas mon œuvre du seul fait de mon appartenance à la race noire. Car le seul critère de considération et d’honorabilité valable auprès de Dieu consiste à la piété, sans aucune forme de discrimination. Ainsi la couleur noire de la peau ne saurait en aucune manière être un signe d’inintelligence ou d’incapacité de compréhension.» (v. 47-49)
Une telle idéologie réfutait d’un coup, il faut le dire, des siècles de préjugés sur la suprématie religieuse des musulmans arabes et maures sur leurs coreligionnaires noirs, et des pans entiers de théories pseudo scientifiques sur l’« inintelligence » des nègres et d’idées racistes développées par des auteurs européens de renom. A l’instar de Voltaire, qui n’hésitait pas à affirmer crânement dans son Essai sur les Mœurs et l'Esprit des Nations : « La mesure même de leur intelligence, mettent entre [les Nègres] et les autres espèces d'hommes des différences prodigieuses »…

Ces prises de position fortes de Cheikh A. Bamba, en vue de restaurer l'identité spirituelle et culturelle de son peuple aliéné, furent précurseurs d'autres postures révolutionnaires d'illustres penseurs et acteurs panafricains, comme Cheikh Anta Diop, pour qui le premier pas vers la libération de l' « esclave mental » consiste d'abord à sa prise de conscience de son « esclavage mental » :
« L’esclave ne devient un acteur de l’histoire que dans la mesure où il est pleinement conscient de son aliénation et qu’il cherche activement à changer de condition (...) Souvent le colonisé ressemble un peu, ou l'ex-colonisé lui-même, à cet esclave du 19e siècle qui, libéré, va jusqu'au pas de la porte et puis revient à la maison, parce qu'il ne sait plus où aller. Il ne sait plus où aller... Depuis le temps qu'il a perdu la liberté, depuis le temps qu'il a appris des réflexes de subordination, depuis le temps qu'il a appris à penser à travers son maître...»
C'est pour briser ces « chaînes mentales », qui continuent encore malheureusement d'entraver les réflexions et pratiques d'une grande partie des élites africaines, passées et contemporaines, que Thomas Sankara rappelait avec force :


« L'esclave qui n'est pas capable d'assumer sa révolte, ne mérite pas que l'on s'apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s'il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d'un maître qui prétend l'affranchir...»