Cet
homme hors du commun qui a marqué son temps et qui, à n’en pas douter,
continuera pour l’éternité, d’inspirer la quête de spiritualité de la Mouridiya en particulier, et de toute la communauté musulmane en général.
Qui était-il, ce personnage dont le charisme a atteint des sommets
rarement égalés et qui ne nous a laissé qu’un seul regret : la brièveté
de son exercice du Khalifat ?
Divers témoignages de sources
autorisées (en particulier celui de son neveu Serigne Modou Mamoune
BOUSSO, Imam de la Grande Mosquée) nous permettront de tenter de cerner
les contours de cette personnalité absolument exceptionnelle à tous les
points de vue.
UNE NAISSANCE QUI SIGNIFIE BENEDICTION ET SALUT POUR L’HUMANITE
Serigne Abdou Khadre est venu au monde une certaine nuit d’un vendredi
03 Muharram 1333 de l’hégire, 1914 du calendrier grégorien à Darul
Âlimul Khabir , NDAME. Dès qu’on lui annonça l’heureux événement, Cheikh
Ahmadou BAMBA convoqua sur le champ son frère et homme de confiance,
Serigne Thierno Ibra Faty (Mame Thierno) de Darou Mouhty dans le but de
lui confier la mission de se rendre à NDAME pour faire le nécessaire
requis pour la circonstance . Au moment du départ, après lui avoir donné
sa bénédiction, le Maître dit à Mame Thierno : "Au nom et par la baraka
de ce nouveau-né que tu vas visiter, sache qu’au cours de ton voyage, à
l’aller comme au retour, tous ceux que tu auras à rencontrer ou à voir
sont préservés des flammes de l’enfer ! "
AUTRE SIGNE PRÉMONITOIRE : UNE ILLUSTRE ASCENDANCE MATERNELLE D’ÉRUDITS
Sa vertueuse mère Sokhna Aminata BOUSSO est la fille de Serigne
MBOUSSOBE, un frère de Sokhna Diarra, la vertueuse mère de Cheikh
Ahmadou Bamba . Ainsi Serigne Abdou Khadr aurait été le neveu du Cheikh,
s’il n’avait été son fils. De cette naissance, il a hérité d’une piété
si profonde que nul n’est surpris que, tout naturellement, il ait
exercé, toute sa vie durant les fonctions d’Imam. D’ailleurs, depuis
1968, date de la disparition de Serigne Fallou deuxième Khalif du
mouridisme, c’est lui qui a régulièrement officié à la Grande Mosquée de
Touba.
Si tout porte à croire qu’il ressemblait à Serigne Touba à
tout point de vue, La communauté mouride en tout cas elle, en est
persuadée !
- Sur le plan physique
Les grands disciples qui, ont
eu le bonheur d’être des contemporains de Serigne Touba n’ont jamais
fait mystère de leur sentiment qu’en Serigne Abdou Khadre, c’est bien
Cheikhoul Khadim qui était revenu parmi les siens. En effet,
soulignent-ils, ils avaient la même silhouette frêle et menue
d’apparence, la même vêture sobre mais adaptée à l’ascèse, la même
démarche rapide, surtout si la destination est un lieu de dévotion.
Leurs traits étaient également empreints de la même sérénité et
reflétaient le même bienveillant amour pour leur prochain mais aussi
leur farouche détermination à repousser toute forme de compromis dans le
service de Dieu et de son Elu (Paix et Salut sur Lui) La même douce
lumière divine illuminait leurs yeux pleins de compassion pour le genre
humain.
- Sur le plan du respect scrupuleux de la Sunna
Les
observateurs attestent qu’il marchait scrupuleusement sur les traces de
son vénéré père. En effet, Serigne Abdoul Khadr avait une connaissance
si extraordinairement approfondie des Hadiths et de l’histoire de
l’Islam en général, qu’en la matière, il était devenu une référence.
Il affectionnait particulièrement, entretenir son entourage de la vie
et des faits du Prophète (Paix et Salut sur Lui.) et de ses Glorieux
Compagnons. Il en parlait avec une précision si étonnante, un soin du
détail si poussé qu’on avait l’impression qu’il les avait connus
physiquement Les couleurs habituelles de leurs vêtements, la carnation
de leur peau, la texture de leurs chevelures, les détails particuliers
de leurs personnalités, leurs traits de caractère distinctifs, tout,
jusqu’aux faits d’armes dont les uns et les autres sont crédités, leur
niveau d’érudition et les capacités de chacun, tout était passé en revue
avec minutie, comme s’il parlait d’amis qu’il pratique au quotidien.
Evidemment la sunna n’avait pas de secret pour lui. Et, comme son père,
il mettait un soin particulier à se conformer à ce modèle parfait. Tous
ses faits et gestes, comme ses paroles, étaient calqués sur ceux du
Meilleur des hommes (Paix et Salut sur Lui.) Comme pour son père, on
notait chez lui un regain de dynamisme frisant même l’euphorie à
l’approche de l’heure de la prière.
On le voyait alors s’apprêter
avec la plus soigneuse minutie. Le Cheikh, Serigne Abdoul Khadre
considérait la prière comme une comparution devant LE MAITRE DU TRONE.
Il fallait donc pour cet instant solennel observer un soin corporel et
vestimentaire trés minutieux . On pouvait alors voir Serigne Abdoul
Khadre, délicieusement parfumé des senteurs les plus suaves, se rendre
au lieu de culte d’un pas alerte, plein d’entrain.
En tout cas, le
commun des mourides est persuadé que celui qui a vu Serigne Abdoul
Khadre a vu Serigne Touba. Il n’est, pour s’en persuader, que son
mausolée sis à l’est de la Grande Mosquée de Touba. Il ne désemplit
jamais.
SERIGNE ABDOU KHADRE, HOMME DE GRANDE GENEROSITE
Serigne
Abdoul Khadre avait un sens très aigu de la famille. A la vérité, c’est
le genre humain qu’il chérissait. Nous n’en voulons pour preuve que
cette propension irrépressible qui le poussait à toujours chercher à
répandre le bonheur autour de lui.
Des témoignages, divers mais
concordants rapportent la joie presque palpable qui saisit Cheikh Abdoul
Khadr, chaque fois qu’il avait l’occasion de rendre service. Cela était
tellement vrai qu’il lui est arrivé à, plusieurs reprises, d’allouer
une récompense consistante à une personne pour la raison suivante : elle
avait porté à sa connaissance le cas d’un individu dont la situation
nécessitait l’intervention d’une main secourable. Il était tellement
heureux d’avoir ainsi l’occasion de soulager les maux d’un frère
musulman que, pour lui, celui qui avait attiré son attention sur ce cas
méritait une récompense.
Ainsi, il n’a jamais éconduit un
solliciteur. D’ailleurs c’est lui qui incitait les nécessiteux à
recourir à lui. Cheikh Abdou Khadr était très prodigue de ses prières
sur tous ceux qui le sollicitaient à cet effet, surtout les malades
qu’il guérissait de façon quasi miraculeuse si, tout bonnement, il ne "
mettait pas la main à la poche " pour régler leurs frais médicaux, les
ordonnances y compris.
Aussi souvent qu’il le pouvait, il procédait
lui-même à la prière sur les morts. Cela était interprété très
positivement par des populations qui y voyaient des preuves, s’il en
était encore besoin, de sa profonde humanité, de son étroite implication
dans toute forme d’action dont la finalité est le soulagement, le
bonheur des populations.
Ami de tout le monde, il avait une
popularité telle que tous les habitants de Touba, à commencer par ses
frères, le considéraient comme leur guide religieux. Serigne Abdoul
Khadre Mbacké était un Hakim qui concillait la sharia et la haqiqa,
d’autres diront que c’était la sharia en personne qui marchait sur
terre. Ses contemporains l’appelait encore Al muftil Qudàti c’est à dire
le maître chargé de la formation des Cadi (juges)
OÙ A-T-IL ACQUIS L’ERUDITION QUI LUI A VALU LA DISTINCTION SOUS LE NOM D’ IMAM DES IMAMS ?
Sa lignée maternelle, les BOUSSOBES, le rattache à une ascendance
chérifienne. La tradition familiale est l’érudition coranique poussée à
ses limites et la maîtrise parfaite des Sciences religieuses jusque dans
leurs arcanes les plus ésotériques. Ce n’est pas par hasard si c’est la
famille BOUSSOBE qui fournit en général les officiants aux fonctions
d’Imam dans la Ville Sainte de Touba.
C’est le Cheikh Ahmadou Bamba
lui même qui l’initia à l’apprentissage du Coran et lui confia à Serigne
Ndame Abdourahmane LÔ, sous la férule de qui , Serigne Abdou Khadre a
maîtrisé très tôt le Coran. Ce fut ensuite pour se rendre à GUEDE chez
son oncle Serigne Mbacké Bousso, c’était en 1926, dans le but d’étudier
les Sciences Religieuses, études qu’il complètera auprès de Serigne
Modou DEME, un érudit incomparable qu’on désignait d’ailleurs par le
surnom révélateur de "Alimu Sùdaan. " ( le savant du pays des noirs)
Le produit qui est issu d’une telle formation est parfait à tout point
de vue. Il a développé une telle élévation spirituelle et morale que
tout naturellement il est devenu ce pôle auquel se réfèrent tous ses
contemporains. Par exemple, il n’était certes pas le plus âgé de la
famille du Cheikh, loin s’en faut, mais il avait un charisme tel que
tous ses frères reconnaissaient et acceptaient implicitement son
autorité morale.
Ils admiraient sa droiture, son désintérêt pour les
choses de ce monde, son peu d’attachement aux biens terrestres.
D’ailleurs, il est connu que toute sa vie durant, il n’a manqué la
prière du vendredi à la Grande Mosquée que pendant son séjour en terre
saoudienne pour les besoins du pèlerinage en 1978.
Autre exemple, la
reconnaissance de facto de son autorité morale par toute la communauté
musulmane du pays (même les non mourides) qui a déploré avec douleur la
disparition de l’IMAN DES IMAMS quand il nous a quittés ce jour
fatidique du dimanche 13 mai 1990.
L’ETUDE DES VESTIGES DE CHEIKHOUL KHADIM PORTEE A SON PAROXYSME
Serigne Abdoul Khadr accordait une importance à tout ce qui touche la
famille de Cheikhoul Khadim. A la vérité, c’est qu’il vouait à son pére
et Maître spirituel une considération sans commune mesure. Le
prolongement naturel de cet amour que tout le monde lui connaissait et
qui le conduisait très souvent à effectuer d’émouvantes ziarra sur les
mausolées des membres de la famille du Cheikh comme sur ceux de ses
grands disciples.
Ainsi il se rendait souvent au village de Nawel
sur la tombe de Sokhna Asta Walo, la mère de Sokhna Diarra BOUSSO, sa
vénérable grand-mère dont il visitait fréquemment le mausolée à la ville
de Porokhane. Il faisait de fréquentes visites de recueillement , à
Sagatta Djolof sur le sépulcre de Mame Mâram, un ancêtre du Cheikh,
comme à Dekhelé où repose Serigne Mor Anta Sally son grand-père
paternel. Les mausolées de Serigne Mboussobé son grand-père maternel et
de son oncle Mame Mor Diarra à Mboussobé recevaient aussi ses visites
assidues, de même que celui de Mame Bara Sadio, un grand-oncle du
Cheikh, à Bofel.
C’est celà qui explique le profond et indéfectible
attachement qui liait Serigne Abdoul Khadr à son oncle Serigne Thierno
Ibra Faty. Il lui rendait de fréquentes visites à Darul Muhty et, bien
après la disparition du Saint Homme, il a continué à entretenir
d’excellents rapports avec sa famille.
QUE POUVONS-NOUS RETENIR DE CETTE LUMIERE QUI A ILLUMUNE NOTRE VIE ?
Serigne Abdoul Khadre, sur les traces de son illustre père, nous a
enseigné ce que sont en réalité l’Islam et son corollaire, le service
exclusif d’Allah. Sa vie n’a été que la défense et l’illustration de ce
credo. A l’image de son Père et Maître, toutes ses démarches et toutes
ses entreprises ont toujours été parées du label "al istiqâma". Voilà
fondamentalement ce que Serigne Abdou Khadre nous a appris et que nous
devons retenir : la droiture, cette droiture doublée du sens de la
mesure et qui est la marque distinctive des élus de Dieu.
Autant le
Cheikh disait à qui veut l’entendre que ses ennemis peuvent tout dire de
lui sauf qu’ils l’ont vu ou entendu, un jour, faire ou dire quelque
chose que Dieu réprouve, autant Serigne Abdou Khadr mettait un point
d’honneur à être ce pôle vers lequel convergent tous les cœurs qui
cherchent un modèle de droiture susceptible de les conduire sur la voie
dénommée "çirâtal mustaqîma. "
CONCLUSION
Encore aujourd’hui
nous nous souvenons avec émotion de Serigne Abdou Khadre. Nous revoyons
dans nos cœurs ce visage empreint d’une douceur angélique. Par dessus
ses lunettes qu’il portait très bas sur le nez, il posait un regard
indulgent sur l’assistance venue solliciter ses prières et sa
bénédiction. Alors on pouvait sentir, presque physiquement, la caresse
de ce regard chaleureux venu d’un grand cœur débordant d’une généreuse
et débordante mansuétude pour les créatures de DIEU.
A nos oreilles
résonne encore le timbre bien posé de sa voix. Et, bien souvent, nous
avons l’impression de l’entendre encore déclamer, de la façon magistrale
et sublime dont lui seul avait le secret, les sourates qu’il récitait
lors des prières du vendredi à la Grande Mosquée. Alors, c’est à grand’
peine qu’on réussit à réprimer les sanglots qui montent du plus profond
de notre être.
L’amertume d’une perte prématurée ressurgit, surtout
si l’on pense aux réponses qu’il faisait à tous ceux qui, s’adressant à
lui, lui souhaitaient longue vie. A ceux-là, il répondait avec un
demi-sourire : " Ce serait tout bénéfique pour vous ! " Nous avons la
certitude que, s’il avait plu à Dieu de nous le laisser, nous aurions
vécu une période particulièrement faste.
Encore aujourd’hui, ses
exploitations agricoles et daaras de Guédé, Boustane et Bakhdad
perpétuent le souvenir d’un saint, d’un érudit incomparable et d’un
serviteur de Dieu inégalable.
Tout de même, il y a une petite
atténuation à notre détresse : Serigne Abdou Khadre lui-même, semblait
savoir que son magistère allait être éphémère. En effet, à tous ceux qui
lui présentaient un projet qui s’inscrit dans la durée, il demandait
invariablement d’en faire part, plutôt, à Serigne Saliou, celui qui
allait lui succéder dans les fonctions de Khalife. Comme s’il savait
qu’il n’aurait pas le temps d’entreprendre ou de piloter quoi que ce
soit qui doive aller au delà du très court terme.
Tel un éclair
fulgurant, Serigne Abdou Khadre a traversé le ciel de l’Islam, laissant
pantois un peuple abasourdi, encore incrédule d’avoir compté dans ses
rangs un "esclave de Dieu" de cette dimension. DIEU qui nous l’avait
donné pour notre bonheur nous l’a arraché après seulement onze mois de
magistère. Il aura vécu un séjour terrestre de 75 ans. Exactement comme
son père !
A Dieu qui nous l’avait donné nous disons : "Innâ li lâhi
wa innâ ilayhi râjihùn " De Lui nous venons, à Lui nous retournerons.
Que Sa volonté s’accomplisse ! Bénis soient ses arrêts, même si notre
pauvre nature humaine, imparfaite par essence, a de la peine à endurer
les douleurs qu’ils peuvent engendrer.